La carte très redoutée de « La Mort » nous parle peut-être de finitude mais avant tout de renaissance. Elle fait référence à des cycles. Elle nous rappelle que les apparentes tables rases n’en sont pas tellement. En effet, elle parle de continuité et de survie. De la nécessité de se débarrasser de certaines couches pour mieux avancer, plus légèr-e. C’est donc naturel qu’elle me vienne beaucoup à l’esprit récemment quand on évoque certains aspects du militantisme.
Je travaille pour une organisation féministe « institutionnelle », c’est-à-dire que depuis plus de 20 ans, ce sont des financements gouvernementaux qui assurent son fonctionnement. Ce parti de l’institutionnalisation a été pris par une large frange du mouvement féministe dans les années 80 et 90. Il visait à assurer son existence et à garantir sa légitimité afin d’ancrer dans les lois des acquis sociaux qu’il réclamait. On déclarait alors que tout ce qui n’était pas structurellement ancré et subventionné était fragile. Dans la foulée, le mouvement s’est fortement professionnalisé. La reconnaissance du travail fourni par le mouvement social en général a mobilisé le secteur dit « non-marchand » pendant des années en Belgique. Il s’agissait de le sortir en partie du bénévolat. Voilà, voix de professeure off.
Perso, j’ai toujours apprécié de participer à des initiatives « auto-gérées », « grassroots », « indépendantes ». J’ai tendance à voir les soutiens financiers politiques ou émanant de sponsors comme des poisons. Un pacte avec le diable. C’est peut-être bien mon petit côté anarchiste qui parle. Je vous passe les détails de ma critique parce que je veux être constructive et puis, je vous vois déjà faire la moue parce que je fais que râler.
Pendant que les organisations féministes subventionnées se battent à juste titre pour préserver les emplois qu’elles ont générés, elles vivent dans une angoisse constante de la mort et une incapacité à se penser en dehors des sources de financement traditionnelles. La mort de la structure dans son état actuel serait un coup d’arrêt et toute leur énergie est mise dans son évitement.
Dans les collectifs plus informels, la carte de La Mort prend tout son sens. On quitte des groupes pour en rejoindre d’autres. Certains groupes prennent des pauses qui durent des mois et on ignore s’ils sortiront de leur torpeur. D’autres se dissolvent. Mais la continuité des réseaux est néanmoins assurée. Les liens créés dans un cadre débouchent sur des actions dans un autre. Les personnes croisées à une marche deviennent des camarades d’une autre lutte ou d’un autre type de protestation. Un cycle se termine et déjà cinq autres commencent, largement infusés d’actions précédentes.
Le capitalisme ingère toutes nos luttes pour en tirer profit. Elles sont alors recomposées à sa sauce et forcément vidées de leur substance ou tournées en dérision. Y a qu’à voir comment Chanel met en scène des manifestations soi disant féministes dans ses défilés alors que l’industrie de la mode et de la beauté repose plus que toute autre sur l’exploitation des humain-e-s, des animaux et de l’environnement. Blague au goût amer. Ou H&M, les magazines de mode et plein d’autres entreprises qui se sont approprié une pseudo body positivity au mépris de notre fat activism (militantisme gros) et de la radicalité de sa critique sociétale. Belles alliances du capitalisme, de l’hétérocispatriarcat, du capacistisme (l’agencement de la société autour d’un idéal de corps valides et productifs), du racisme, de la grossophobie.
Un objectif des militantes féministes et des autres, c’est d’accepter de se départir de certaines méthodes pour en adopter rapidement d’autres. Se faufiler. Aller plus vite. S’immiscer dans les brèches pour faire imploser un ensemble. Se reconfigurer en d’autres entités pour inventer d’autres actions. Une bonne partie des constats restent les mêmes mais les modes d’action sont constamment bousculés et redéfinis. Être indestructibles et en mutation, à l’image du chat et de ses neuf vies sur La Mort du Mystical Cats Tarot. Et créatif-ves, à l’instar de la jongleuse dans cette position dans le Thea’s Tarot. Elle a les pieds fermement sur le sol, le centre de gravité bien bas et elle fait danser joyeusement les branches qui perdent leurs feuilles vers celles qui portent des fruits. Comme le printemps. Un défi qui nous est imposé par le contexte actuel et qui pourrait pourtant s’avérer salvateur. Dans une conception moins linéaire, plus brouillonne mais en bonne connaissance des saisons précédentes.