Cultiver une approche féministe ET queer du tarot implique de se confronter à des nœuds et à nos propres préjugés. La réceptivité supposée des reines m’a posé problème. Je l’ai même rejetée en bloc.
C’est qu’il existe une vision binaire qui se manifeste dans le tarot et dans de nombreuses pratiques spirituelles par un amalgame entre le féminin (et dans le pire des cas les femmes) et la passivité, la réceptivité, le soin, la douceur et puis le masculin (et dans le pire des cas les hommes) et l’action, le leadership, la prise de décision, etc. Cette distinction prend sa source dans (et continue d’alimenter) le patriarcat et l’hétéronormativité.
D’ailleurs, dans de nombreux discours, cette prétendue « complémentarité » (en réalité, un rapport de pouvoir qui cantonne à certains rôles de genre, entérine les violences de tout type perpétrées et perpétuées contre les femmes) serait « naturelle ». La réceptivité des femmes serait inscrite dans leur vagin et dans leur utérus tandis que les hommes seraient « actifs » en raison de leur pénis et de l’éjaculation. Haha, comme si les personnes doté-e-s d’un vagin n’éjaculaient pas (je ne vous invite pas dans mon lit pour découvrir l’inverse mais vous savez de quoi je veux parler). A l’hétéronormativité et au sexisme, s’ajoute dans ces interprétations une vision extrêmement cissexiste, c’est-à-dire qui sous-entend que tous les hommes et toutes les femmes en question sont cisgenres (non-transgenres quoi).

Partant de ce constat, comment queeriser le tarot ? Ce système de 78 cartes s’appuie sur les significations qui ont circulé et évolué au fil des siècle. Il fonctionne même grâce à ça. C’est pour ça qu’on y trouve des archétypes. Alors, jusqu’à quel point peut-on éplucher une carte, lui enlever des couches révélatrices de son existence au sein d’un hétéro-cis-patriarcat capitaliste et suprématiste blanc et lui ajouter des voiles, du fard ou des huiles pour qu’elle continue à voyager enrichie, renouvelée et renouvelable et vectrice de changement ? Les lames du tarot possèdent-elles une essence ? Comme on essentialise/naturalise le genre et le sexe, court-on le risque d’essentialiser le tarot ? Ou est-ce là que réside sa pertinence, comme une plongée dans l’inconscient collectif ?

Vaste question ! Et comme je n’ai pas toutes les réponses, je vous embarque ici dans le récit de ma relation à la reine de coupes au cours de ces derniers mois. Je crois que je l’adore depuis que j’ai commencé à apprendre le tarot. Je savais aussi qu’elle avait beaucoup à m’apprendre, mais je n’étais pas « réceptive » à ces messages. Alors qu’en consultation je peux être détachée de l’ego et laisser passer les messages à travers moi, dans l’étude du tarot, j’agis inversement. J’agis justement. Je tire les rênes. Ou les reines. Et puis d’ailleurs, en parlant de rênes, c’est souvent ce qu’un personnage tire sur la carte du chariot que j’avais choisie pour nommer ce blog. Je pose les questions. J’analyse. Je décrypte. Mais j’attends rarement les réponses. Je les formules. Je suis comme ça en général : assertive (et grande gueule), meneuse, sûre de moi. Comme pour pas mal de choses dans la vie, ces traits de caractère ont de multiples facettes, de la plus lumineuse à la plus sombre (ou dans l’ombre).
Les paroles de la reine de coupes ont commencé à se faire plus limpides à travers la bouche d’autres tireuses de cartes. Ça ne veut pas dire que je les ai écoutées véritablement. Mais je les ai entendues, peu à peu.
Tout a commencé il y a un an. J’avais des problèmes aux poumons handicapants : toux, expectorations, … Mon herboriste, tireuse de cartes, sorcière et amie adorée, Anja de Pin Primrose, m’a gentiment offert l’avis des cartes sur la question. Des coupes, des coupes, énormément de coupes. Dont la reine de coupes, of course. Poumons, coupes, élément eau. Logique somme toute. J’ai travaillé là-dessus. Un peu disons… Puis, quand la maladie est passée, non élucidée et mal diagnostiquée, j’ai continué à tracer ma route. Les poumons, l’eau, les coupes. Oui, oui, je voyais bien le message. Sauf que non.

Et donc mes poumons me foutent la paix quelques mois. Pour mon anniversaire en mai, je m’offre une consultation chez Power Femme Tarot. Le message de « self-love », c’est la reine de coupes. Krystal développe autour de mon intuition. Je me dis : oui, oui, elle doit être là. Mais je ne me trouve quand même pas terriblement intuitive. Je n’écoute toujours pas vraiment. Cependant, quelque chose s’ouvre en moi. Ma réceptivité aux signes, aux symboles, aux synchronicités grandit. La gémeaux que je suis met de plus en plus l’élément air de côté. Je passe moins de temps à analyser et à chercher à cerner.
Il me vient beaucoup l’image d’Harry Potter. Dans les romans, il devient un sorcier en contact avec sa puissance quand il réalise que son point fort en magie n’est pas de combattre (ou de foncer tête baissée au combat) ni de réfléchir ou de tout étudier. Sa plus grande capacité, c’est de pouvoir faire taire tout ça et demander les réponses en lui (mais pas exclusivement en lui, dans la (inter)connexion, car elles lui sont en grande partie indiquées par ses guides et ancêtres). Quand il les reçoit, hors de question de les passer au crible de la logique. Il les suit, c’est tout. Cette réceptivité et cette intuition sont donc, par définition, de l’action. Est-ce que Rowling a pu construire son héros de la sorte parce que c’est un garçon ?

Ne pas trop faire, ne pas trop réfléchir, se connecter, savoir, se laisser infuser de ce savoir, le laisser guider chacune de nos actions. Ce n’est pas forcément ce que je propose en consultation, mais au niveau personnel, je me suis appliquée (ah, s’appliquer, encore une erreur de débutante) à entretenir le contact avec l’aspect spirituel du tarot. Avec la magie. Avec la sorcellerie. J’ai aussi souhaité améliorer mes compétences grâce à l’expertise d’autres. Je me suis donc inscrite à plusieurs cours de la Tarot Summer School conçue par Ethony. Dans Reading Tarot Intuitively, Jessi Huntenburg relie intuition, réceptivité et féminin dans le tarot. Le message revient à plusieurs reprises dans différents cours. Je lutte.
Parallèlement, vous l’avez peut-être vu sur instagram, je tire beaucoup la carte de La Mort. Je la réfléchis. J’ai mal agi dans différentes situations. Mes « patterns » me sautent aux yeux ainsi que la nécessité de m’en extraire. Je pense à m’atteler à leur compréhension. Je veux les triturer pour les décoder et ne plus me laisser piéger. L’analyse encore et toujours. Décortiquer. La culpabilité. Mais, dans un premier temps, pas l’impression que la solution la plus immédiate serait d’entourer mes blessures d’amour et de tendresse. Ce qui n’est pourtant pas de la complaisance mais une douceur salvatrice. Le temps des analyses viendra bien assez vite.
Fin juillet, mes problèmes aux poumons reviennent. Cette fois, je comprends que mon asthme allergique est provoqué par l’armoise.

L’armoise, c’est l’herbe de la lune. Vous savez, le dessous de ses feuilles reflète sa couleur. Pour moi, sœur, fille, petite-fille, arrière-(beaucoup de fois et de tous les côtés de mon arbre généalogique)-petite-fille d’agricultrices-eurs, l’armoise n’avait d’autre existence que : c’est une mauvaise herbe quoi. Jusqu’à ce que mon amie, la guérisseuse Otter Lieffe, me la désigne par son nom l’année passée, sur les terres qui m’ont vu grandir. Si tôt nommée, si tôt devenue l’allergène auquel je suis le plus sensible. Début août, tandis que mes crises d’asthmes me procuraient la sensation d’étouffer, j’essayais d’entrevoir la relation possible avec ma pire ennemie et sans doute ma meilleure alliée, l’armoise (les traitements à base de cortisone, ça aide hein, j’avoue, à ne pas juste maudire cette herbe).
Peu après la pleine lune, son rituel, sa bénédiction et ses messages, j’ai reçu une lecture

de The Celtic Faery Seer. Je vous passe les détails de cette rencontre magique. Ce que je vous en dirai, c’est que je me suis lancée dans la rencontre de l’élément eau plus directement. En immersion. En méditation, j’ai écouté les messages sans me cacher derrière les cartes. En ligne directe avec l’intuition, le divin. Réceptive.
Ce n’est pas le propre des femmes (trans ou cis). Et ça n’a rien à voir avec nos organes génitaux et autres attributs sexués. Les personnages dit-e-s de cour dans le tarot sont souvent genré-e-s. Mais la reine de coupes, quel que soit son genre, me susurre à l’oreille et à travers chacun de mes (6 ?) sens, que l’intuition n’existe que pas sans réceptivité. Elle consiste à accueillir. Pour moi, ça signifie une forme d’ancrage très lié à l’élément terre et puis me laisser flotter et écouter. Yel est mon fond d’écran depuis quelques semaines. Reine de coupes du Gorgon’s Tarot, sirène qui danse au fond des lacs. Des lochs. Sûre d’elle et assertive, sans doute. Mais depuis une position d’écoute.

Parfois, une approche féministe et queer du tarot, c’est se laisser flotter dans le large spectre des genres. Ou dans la mer du genre. Comprendre les enjeux du genre comme rapport social et comme système de domination tout en permettant aux genres dégenré-e-s, déraciné-e-s et dérangé-e-s d’exprimer leur créativité. Ce n’est pas la seule approche du genre qui vaille. Au contraire. Elle présente le piège du dépolitisation. Mais elle a aussi des choses à nous dire. Si on l’écoute…
En bonus, un article d’Asali Earthwork sur la critique (facile) des bains comme pratique de self-care. Herbes, sels, cristaux, purification, méditation, relaxation,… Quand self-care et rituels s’allient.

Tiens c’est « marrant » mais je n’ai jamais réussi à voir les figures du tarot en tant que représentations d’hommes et femmes. Pour moi c’est juste la manière dont l’humain a réussi à visualiser différentes manières de penser, ressentir, agir et faire. Pour analogie, en sorcellerie autant qu’en tarot, je n’aime pas parler d’énergies féminines ou masculines mais plus de polarités positives et négatives comme les faces d’un aimant, ou du ying et du yang. Chacune à besoin de l’autre pour exister mais aucune n’est spécifique à un sexe ou un genre, et elles peuvent être mélangées et pas opposées. M’enfin, voilà pour le blabla que m’inspire ton article. J’aime bien lire tes réflexions comme ça, ça me permet de me poser des questions sur les miennes. Sur ce, retour à mes vacances, j’étais sensée ne pas m’approcher d’Internet. ^^
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