Figures monstrueuses qui peuplent les imaginaires des victimes du patriarcat. Les langages tortueux quand les traumatismes affleurent à la surface. Les visions insupportables. Néanmoins, édulcorées par rapport ce qu’elles masquent encore. Laideur, corps en décomposition, démantelés, éparpillés, lacérés. Lisses comme des bosses à la place des yeux, des crânes échevelés. Ou des cratères comme des plaies béantes, des pustules suintantes. Et puis des os. Des os partout. Sur le sol. Autour du cou comme des bijoux. Six pieds sous terre, dans les rêves ou dans les dessins. Des os dans l’écriture automatique. Cet irréductible qu’il n’aura pas encore eu de nous. Même pour ceulles que leurs coups ont cassé-e-s, scindé-e-s, abîmé-e-s.

Le 5 d’épées, dans certains jeux en tout cas, m’évoque tout ça. Notre capacité à nous régénérer, non pas pour mieux nous assimiler, mais pour mieux résister. Couper. Triturer. Éplucher. Trancher. Scier. Dépecer. Décortiquer. Parce que nous sommes en morceaux de toute façon. Autant aller jusqu’au bout. Plus loin que l’hétéropatriarcat. Dans une meilleure connaissance. Jusqu’à la moëlle. Épinière. Se reconstituer de l’intérieur une structure qui nous tiendra. Dans notre monstruosité. Fièr-e.
Ma compagne, l’artiste Rose Butch, est en train de travailler sur un portrait de moi qui devient monstrueux à mesure qu’elle le revisite. Il ne s’attache pas au réalisme. Il ne s’accroche pas à une apparence. Il me dévore. D’ailleurs, je me retrouve dévoreuse dans cette peinture. Comme une invitation à se laisser engloutir dans mes profondeurs. Sans garantie quand à la bienveillance qu’on y trouvera. Potentiellement, la bile vous engluera. Ou vous fonderez pris-e au piège de l’acidité de mon estomac ulcéreux. Les figures maternelles tragiquement désespérées ou cruellement en quête d’identité peuplent ses toiles. Et les représentations que je me fais de moi-même. Et puis, qui est-on pour l’autre? Qu’est-on au sein du couple? Qu’est-on dans nos amitiés? Ambiguës. La Méduse! Médée? Déjà les teintes de la toile sonnent le glas de la somptuosité. Elle sera tragique.

Les critiques patriarcales de certaines artistes ont balayé l’expression de leurs névroses ou psychoses. Sylvia Plath est emblématique. La fascination des adolescentes, qui trouvent dans ses œuvres les thèmes qui les taraudent, est moquée. On rit de leur gribouillages: des yeux qui pleurent, des mains qui pendent, des plaies. Mis bout à bout pourtant, ils relatent les traumatismes laissés par les violences patriarcales et leurs imbrications avec les violences racistes et coloniales, capitalistes, handiphobes, grossophobes,… Ces récits donnent vie. Individuellement, ils nous conduisent au traumatisme, souvent oublié ou déformé, qui nous revient avec d’autres visages. Collectivement, nos imaginaires se rencontrent pour dessiner puis dénoncer les violences que nous subissons. Et puis, par ces échos, par la fin de nos solitudes, nous pourrons résister, démanteler le système et pas nous, et inventer. Et construire. Solidairement, dans le respect de nos multiplicités et, surtout le travail sur chacun de nos privilèges. Complices.

Le 5 de couteaux du Slow Holler, c’est la personne qui accède à ce qui a été planté en elle pour mieux se saisir des instruments de son autonomie. Sa vengeance sera peut-être artistique, peut-être légale, peut-être… Le 5 d’épées du Wild Unknown, c’est la coupure fatale. L’autodestruction ou la destruction la plus aboutie. Mais le ver se dédouble et repart creuser des galeries, aérer le sol, prendre soin de nos fondations. Le 5 d’épées du Gorgon’s tarot, c’est la souffrance de l’épée qui nous traverse le cœur et notre robe pourtant immaculée. C’est nos compagnes/ons de route qui sont témoins, qui acceptent

notre récit et nous aideront à le porter. A le défaire. A lutter. Ce sont ces 4 autres épées qui nous aident à tenir, pour le moment, et dont nous nous emparerons à l’heure de reprendre le combat.
Incarner la figure monstrueuse. Point.
Points de suspension
Respirer
…
Lectures du jour:
- Parce que la monstruosité est étudiée et réappropriée différemment par les personnes non-blanches, en fonction de l’imbrication de l’hétérocispatriarcat et de la suprématie blanche, le colonialisme, l’universalisme et l’impérialisme.
Le blog d’un.e mutant.e décoloniale, commencez ici: Sortir du rêve et trahir sa race. Et continuez.
Je suis un.e animal.e par Po B. K. Lomami
Shrine of the Black Medusa Tarot, A collaged celebration of Blackness, par Casey Rocheteau
- Une nécessité qui ne concerne pas que les personnes habitant aux Etats-Unies: I need to talk to spirirual white women about white supremacy par Wild Mystic Woman