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Mots-clés
J’ai choisi de me limiter à 5 pour mettre en avant la spécificité de notre propre interprétation des cartes. Voici les premiers mots auxquels je pense ainsi que ceux que j’ai relevés dans les livres consultés : Insouciance – prise de risque (et inconscience par rapport au danger) – curiosité – saut dans le vide – commencement – liberté – inconscience (des normes et attentes sociales) – excitation mêlée à la peur (ou la totale absence de celle-ci) mêlée à la naïveté – spontanéité – émerveillement – nouveauté – ouverture – « vocation » (je n’aime pas ce concept qui arrange tout autant le patriarcat et le capitalisme) – abandon/lâcher prise/confiance – univers/cosmos
Mes 5 préférés sont en gras.
J’en profite pour relever comment certain-e-s ont renommé la carte : The Fledgling (Slow Holler) qui désigne à la fois l’oisillon qui s’apprête à voler pour la première fois et une personne inexpérimentée et/ou débutante, La jeune femme (The Slutist pour des arcanes majeurs autour de la sexualité et de l’autonomie sexuelle), Innocence (Thea’s Tarot)
Visuel et associations
- Jeune, enfant, bébé > insouciance, inconscience, débutant-e, rappel de la carte du Soleil. Dans ces éléments visuels et ce qu’ils sont censés provoquer: une forme d’âgisme? Je préfère les versions de la carte sans ces associations. Questions. Étais-tu vraiment plus insouciant-e lorsque tu étais enfant ? Pourquoi ou pourquoi pas ? Qu’est-ce qui assure l’innocence supposée des enfants et qu’est-ce qui la met en péril ? A qui ou à quel système profite l’idée que les enfants non pas d’autonomie ni de capacité à prendre des décisions informées ?
- Patte ou jambe ou pied en l’air, parfois au-dessus du vide, parfois dans une espèce de pirouette, souvent dans une seconde qui paraît figée artificiellement avant le saut dans le vide > Mouvement + parfois saut dans l’inconnu + parfois le fait de flâner ou d’être désorienté-e
- Colline, ravin, précipice, montagne, lacets défaits > aucune conscience du danger, du chemin, de l’avenir que ce soit immédiat ou en arrière-plan. Indirectement : peu de notions du temps, de la planification, de la route à suivre. Saut vers l’inconnu + envol : m’évoque un peu les Amoureuses.
- Mouvement + direction + absence de direction (impression d’aller « en arrière » par rapport aux cartes qui suivent) > perte de repère, sens dessus dessous, aller vers l’inconnu. Même direction que l’Ermite mais sans sa vision. Mouvements par opposition au/à la Pendu-e figé-e, incapable de bouger.
- Soleil et/ou tons jaunes/orange > optimisme, légèreté, éventuellement foi ou en tout cas confiance en l’univers, rappel du zéro, du cercle, de l’œuf presque éclos, du cycle et en même temps être en dehors et contempler les possibilités infinies.
- Fleur (à la main ou près du nez) > être dans l’instant, attentif-ve à la douceur de l’instant, spontané-e, les sens en éveil, émerveillement, en connexion avec son environnement direct (à défaut de voir le vide sous ses pieds ou les montagnes à l’horizon). Mais aussi : la pureté des intentions ou, pour citer/traduire Beth Maiden, la beauté et la légèreté d’esprit.
En association avec un baluchon ou un petit sac > l’idée qu’on peut vivre d’amour et d’eau fraîche - Donc baluchon, sac à dos > être prêt-e pour un changement radical en ayant peu de stabilité, peu de points d’accroche dans le passé, peu de ressources. Aussi : ne pas se rendre compte qu’on commence une aventure, être insouciant-e au point de partir les mains vides.
- Canne (ou bâton) + compagne-gnon animal (ou lampe-torche dans le Slow Holler) > ne pas être seul-e, avoir de l’aide, soutien de la plus précieuse des ressources. En revanche, dans les tarots inspirés par le Tarot de Marseille, l’animal semble moins prêt-e à accompagner. Yel retient ou, au contraire, yel pousse dans le vide ou encourage à faire une connerie sans assurer de soutien pour la suite.
- Costume grotesque > référence au/à la « fou du roi » ou bouffon. L’élément fun. Aussi : ne pas se soucier du regard des autres, être libre, ne pas craindre le ridicule. Je reviens plus loin sur la psychophobie de ces associations et du nom en français.
Un titre
Partir un jour sans retour – 2be3 (oui, j’ose ! :D)
Le générique du dessin animé Belle et Sébastien
Why Be Happy when you Could be Normal? – Jeanette Winterson. Le choix d’être heureuse en dépit des désirs de sa mère adoptive. Ma traduction d’un passage du roman qui illustre bien l’énergie de Lae Foulle : « J’ai remarqué que faire ce qui est sensé n’est une bonne idée qu’à condition que la décision à prendre soit minime. En revanche, pour tout ce qui peut changer ta vie, il te faut prendre le risque. »
Mes impressions
J’ai d’abord relevé et traduit quelques citations qui me plaisent.
« Fais confiance en ton Toi aventurier. Recommence à zéro. Souviens-toi de ton innocence. Moque-toi et joue. Sois spontané-e. Prends le risque d’avoir l’air ridicule (foolish). Aie confiance en ta voie. Plonge, saute, bondis avant même de regarder où tu vas ! »
Beth Maiden, A Card A Day (note: les inscriptions au cours sont clôturées, mais le contenu devrait revenir dans un autre format):
« Même si on en est au commencement, notre voyage n’a pas encore pris forme. »
« [Des] personnages sur le point de prendre un risque. Un saut à l’aveugle dans le vide, avec confiance. Ces personnages sont sur le point de se lancer dans l’inconnu. A un pas de l’inconnu. »
« Il ne s’agit pas de volonté consciente. Il ne s’agit pas de « savoir », ni de s’être fixé-e des objectifs précis. Il s’agit du premier pas. Il est osé, audacieux. Toutefois, il n’est pas question ici de poser des intentions ou de faire peur d’une résolution sans faille. Il est plutôt question de s’en foutre totalement. Être complètement dans le moment, ici, prêt-e à débuter. »
« Lae Foulle nous demande de procéder à un échange de confiance avec l’univers. Il te demande d’accorder ta confiance à l’invisible, de t’autoriser à être guidé-e par ta curiosité, d’aller au-delà de tes doutes en toi-même et de ta peur d’échouer… En retour, ce voyage va s’avérer plus riche, chargé de moult défis et de plein de récompenses, tellement plus sauvage et libre, moins prévisible et beaucoup plus amusant. »
« La nouveauté du/de la Folle n’est pas forcément liée à l’âge adulte ou aux responsabilités. Ce qui est neuf pour yel, c’est sa reconnaissance de l’esprit. (…) Avec passion, Lae Foulle est en voyage vers nulle part, les poches pleines de talismans et un sac à dos rempli de crayons et de multivitamines. (…) Déconstruis ce que ce voyage signifie – prends les fardeaux et les délices (…) »
Mais, après tout, l’interprétation de cette carte qui me parle le plus est celle proposée par le Mystical Cats Tarot qui renomme cette carte Lae Chat-te :
« (…) être pleinement présente là où tu te trouves, juste là, maintenant. Demande-toi ce que te rendrait heureux-se et accueille les occasions qui s’en suivent. Si tu le laisses faire, ton flair te mènera à l’exultation. Ouvre les yeux sur la beauté. Éveille ton esprit à l’émerveillement. »
Cette interprétation pourrait en partie valoir pour la carte de l’Impératrice. Il faut donc y ajouter les notions d’insouciance, de risque, de légèreté, de changement et de commencement. Elle se traduit par une conscience accrue de l’environnement immédiat, de l’instant présent, de son corps et de ses sensations. Ceci se joue à un niveau davantage individuel (voire individualiste) et instinctif que dans d’autres cartes comme La Grande Prêtresse. En effet « tu sais probablement ce qui est mieux pour toi à un niveau instinctif et sans planification (…) » (Oliver Pickle). Cependant, il n’y a pas dans cette attitude et dans cette présence une conscience des risques, des attentes, de la marche à suivre ni surtout de l’avenir.
Des expériences persos qui ressemblent à cette carte
- Quand j’ai quitté la campagne pour venir étudier à Bruxelles.
- La première fois que je suis allée à la plage en bikini (fatkini)
En réalité, ma réaction devant cette carte ou dans des situations qui y ressemblent est systématiquement « Oui mais… ». Enfin, plus précisément, tout en belgitude, « oui mais oui mais non ». Genre: Oui, je vois ce que tu veux dire, cher tarot, mais non je suis franchement pas d’accord avec l’idée de ne plus avoir de revenus. La notion de ce qu’on a à perdre dépend de multiples facteurs. Mais l’âge est-il prépondérant? Pourquoi associe-t-on cette carte (et les valets et cavalier-e-s) à l’enfance ou à la jeunesse? Les questions affluent.
Mes questions
Dans le cas de stress post-traumatiques (multiples), l’insouciance peut apparaître comme un vœu pieux. Inaccessible. Sans cesse, le corps rappelle : mais c’est déjà arrivé, pourquoi ça n’arriverait pas à nouveau, méfie-toi. L’hypervigilance est constante. Le stress aussi. Même « être présent-e, dans l’instant » relève du défi. Dans ce cas, l’archétype de Lae Foulle se (re)trouve progressivement, à travers des petits sauts, non pas dans le vide, mais au-dessus des flaques d’eau ou le seuil d’une porte. Cet acte courageux n’est pas moins héroïque que le pas au-dessus du précipice, sans regarder où on va. Qui sont les personnes qui vivent le plus avec de complexes stress traumatiques? Qui commet et/ou bénéficie des violences que d’autres subissent? Quels systèmes sous-tendent ces mécanismes? En d’autres termes, comment la suprématie blanche, le patriarcat, le capitalisme, les systèmes d’hétérosexualité, de validité et de minceur obligatoire informe-t-il Lae Foulle? Qu’est-ce que « la folie »?
Dans la traditions du Tarot de Marseille, cette carte s’appelle Le Mat. Traduite du Waite-Smith, elle devient souvent « Le Fou ». Or, « The Fool » communique à l’idée de se rendre ridicule, d’agir sans considération des conséquences, etc. Mais pas à (vraiment ?) à celle de folie.
En français, impossible de ne pas être heurté-e par l’association de « le fou » à l’insouciance, l’absence de compréhension des normes sociales, la prise de risques inconsidérés, la méconnaissance du danger, le manque de repères spatio-temporels. Ce sont autant d’associations qui sont communément utilisées pour désigner les personnes qui n’entrent pas dans les critères de ce qu’on considère « sain-e d’esprit », « socialement adapté-e », « valide », etc. Elles sont réductrices, méprisantes et stigmatisantes envers yels. La folie est un concept qui varie beaucoup en fonction du contexte. Mais quand il n’est pas réapproprié par les personnes concernées (mouvements anti-psychiatrie par les concerné-e-s, Mad Pride), il sert essentiellement à exclure, à enfermer, à maltraiter, à infantiliser (les critiques sur l’âgisme de la carte résonnent ici avec sa psychophobie). Il se fait argument de pouvoir et de domination.
Les mots ont leur importance. Dans ce cas précis, Lae Foulle valide la psychophobie et les discriminations envers les personnes neuroatypiques. Un certain registre d’interprétations de la carte quand il rencontre le terme « fou » renforce des généralisations dangereuses au sujet de « la folie ». Ce registre présente l’avantage de ne pas être pathologisant. Il ne médicalise pas. Par contre, il infantilise, il ridiculise (it makes a fool out of Le Fou).
Qu’en pensez-vous ? Est-ce tiré par les cheveux (c’est une concernée, une trichotillomane qui vous le dit hahaha) ? Quelles alternatives pourraient émerger ?
Tandis que je réfléchissais à cette lame tout à l’heure, les interrogations laissaient place au scepticisme. Est-elle dépolitisée ? Comment la politiser ? Les notions de risques et de ridicule sont très variables socialement. Encore une brèche dans la prétendu-e universalité que beaucoup accordent au tarot. Une référence à la version de la carte du Collective Tarot sur laquelle une personne fait de l’auto-stop m’interpelle. Le danger potentiel pour les personnes lues comme femmes et/ou trans et/ou queer qui font du stop est bien plus grand que pour les hommes cis hétéros. La prise de risque et l’insouciance de Lae Foulle sont ancrées dans des systèmes de domination. L’individu-e très présent dans cette carte n’existe pas sans les hiérarchies. En fonction de sa position sociale et des privilèges qui en découlent ou pas, insouciance, liberté, risques revêtent des significations très différentes.
J’ai ainsi lu au sujet de la carte : imagine faire quelque chose qui est socialement désapprouvé, moque-toi des convenances, porte des vêtements ridicules, fais ce qui te plaît, ose et ne te soucie pas du regard des autres. Ce n’est pas évident pour tout le monde. Qui sanctionne ce qui est validé socialement? Qui instaure le danger pour les personnes qui ne respectent pas les règles? La perception de ce qui est « ridicule » ou « socialement acceptable » est conditionné notamment par des normes de genre et des normes racistes. Ainsi, une expression de genre qui met à mal un système cissexiste par le simple fait d’exister peut susciter une répression transphobe. Les statistiques de meurtres transphobes sont parlantes à cet égard.
Les chiffres ne manquent pas non plus aux Etats-Unis au sujet des violences policières dont sont victimes les hommes noirs au motif qu’ils auraient soi-disant un accoutrement ou une attitude jugée anormale. Les hommes non-blancs en font les frais ici aussi. Même si moins de données sont disponibles pour le prouver. Le racisme et le sexisme se rencontrent aussi dans les agressions que subissent les personnes qui portent le voile dans l’espace public. Qui décide de ce qui est ridicule? Qui est exclu ou vulnérable dans l’espace public à cause de ça?
Il ne s’agit pas de ne pas sortir sous prétexte que les oppressions existent. Mais je ne peux m’empêcher de constater que Lae Foulle est accessible différemment selon les privilèges que l’on a. Et j’embraye: comment lae rendre plus sensible aux systèmes de domination qui s’imbriquent?
Ça fait 5 ans que je ne me rase plus les jambes. Peut-être que c’était La Foulle de faire ça. Chaque été, cette impression revient, je me sens toute Fofolle. Mais les brimades lesbophobes rendent un choix corporel qui pourrait être simple compliqué. J’hésite pendant des jours avant de laisser tomber les collants. Est-ce que je peux vraiment faire preuve d’insouciance quand je sors en montrant mes jambes poilues et en portant des vêtements exubérants ? Non. Impossible. Impossible d’échapper à la pression sociale. Impossible de ne jamais avoir peur en tant que couple lesbien. Non… Les risques sont calculés. Ils ne sont pas légers. Pas insouciants. Pas ouverts. Le sentiment de liberté et de légèreté, les poils au vent, la fourrure apparente ne peut être que teinté d’inquiétude et d’hyperconscience des regards et commentaires.
Autre exemple de moment Foulle qui revient souvent, outre le voyage ou le ridicule et la défiance face aux normes: le changement de parcours professionnel, démissionner du jour au lendemain. Lae Foulle aura plus de chance d’incarner l’énergie de cette carte si yel vient d’un milieu aisé qui continue de lui procurer un filet de sécurité (donc généralement si yel adhère aux valeurs et correspond aux attentes de sa classe sociale). Si t’es pauvre, cette démission va ressembler davantage à la Tour qu’à lae Foulle. Il faut certains privilèges dans un certain contexte social pour « se connecter » au Foulle. Le tarot manque parfois cruellement de matérialisme. Il est désincarné justement.
Autre exemple encore : quitter la personne avec qui tu es, foncer vers une autre vie. On parle des meurtres de femmes qui ont quitté des hommes violents ? On parle de féminicide ? Tu vois, je trouve que Lae Foulle n’est pas suffisamment informé-e des différences de traitements. Je trouve qu’ « il » est très privilégié. Je trouve que son expérience ne résonne pas facilement pour tout le monde. Un faible biiiiip, tout au plus.
Comment tirer les cartes en respectant les parcours et les expériences de chacun-e ? Comment utiliser le tarot sans conservatisme et en vue de changement social ? Si le tarot avait vraiment était le miroir d’un prétendu « universel », alors cet universel est un homme blanc, valide, pas pauvre, cisgenre, hétérosexuel,… C’est sans doute de là que Lae Foulle tire son insouciance. Pour moi, un tarot alternatif devrait réinventer complètement cette carte. Partir de zéro. Prendre CE risque. Cela participe à la multiplication des points de vue et des récits. Cela participe à mettre les vécus marginaux au cœur du voyage. Les mots et les représentations n’existent qu’avec des structures sociales. Elles les reflètent. Elles les influencent. Il n’y a pas d’œuf (le zéro de la carte) ni de poule (ou de Foulle quoi), pas d’extérieur. Il n’y a pas de cartes mystiques et spirituelles sans lien avec ces choses-là. Le tarot est politique. Il ne peut se satisfaire de statu quo, il aspire à transformer. Et pas uniquement un-e individu-e qui existerait sans se soucier des structures sociales. Ce mythe-là mine le tarot au lieu de le grandir.
Que pensez-vous de ces interrogations? Votre vision de la Foulle diffère-t-elle?
Ceusses qui s’tuent à entrer dans les cases, ceusses qui s’tuent à tenter d’en sortir, ceusses qui s’tuent de ne réussir ni à y entrer ni à en sortir… Pas si clair d’étiqueter oppresseurs et opprimés quand l’aliénation domine à tous les étages.
Ce qu’on appelle l’universalité ressemble fort à une programmation de masse – massive, écrasante, abrutissante, étouffante pour les individus d’un côté et de l’autre de frontières subjectives et mouvantes où tous se sentent plus ou moins menacés à tort et/ou à raison par d’autres qui leur semblent essentiellement différents…
Au mieux le tarot nous incite à questionner les fondations sur lesquelles on s’est construit, individuellement, collectivement, au pire il n’offre que des réponses rassurantes censées être éprouvées et validées par la sagesse des anciens, des « sages », des « initiés » qu’il faudrait suivre pour trouver sa voie, sa liberté…
Le Fou/la Folle est peut-être cette part d’irréductible sauvagerie, de folle sagesse en nous qui s’évertue à résister, à tourner le dos – ou du moins qui y aspire et qui tend vers – à toute forme de domestication et de conditionnement pour tenter de tracer un chemin qui n’existe pas encore, qui peut-être ne mènera nulle part mais vaudra de toute façon mieux que tous les sentiers déjà battus?
C’est un régal Cathou de te lire, de t’écouter et de te regarder. Merci
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