Grosseur et désobéissance

publication initiale sur mon blog Grosse Fem: 24/10/2014

la rébellion, pas les régimes! riot not diet!

Je désespère de trouver les mots. Une enfant de 7 ans s’adresse sans cesse à moi pour aborder son régime, elle se pèse tous les jours et elle ne pense plus qu’à son poids. Quand je lui dis que je suis grosse et que c’est vachement bien, elle réplique: “mais non tu n’est pas grosse.” A quoi, je rétorque: “je suis grosse, c’est très bien comme ça, être grosse n’est pas une insulte. »

On essaie alors de me clouer le bec en me disant que je ne devrais pas apprendre à des enfants que tous les corps sont bons et valables ou que gros, mince, grand, petit ne sont que des descriptifs, pas des jugements de valeurs. Et puis, ajoute-t-on, cette obsession précoce est bienvenue car « il vaut mieux être mince que d’être grosse”.

Alors, vous savez quoi: dans ce monde injuste et inégalitaire. Il vaut mieux être homme qu’être femme, être cisgenre que transgenre, être blanc que racisé, être valide qu’handicapé-e ou malade, être né dans un pays occidental, être riche, être mince, etc. OUI, être du côté des dominants rend la vie infiniment plus facile. Pour beaucoup de ces axes, passer de l’autre côté, s’extraire à son statut de dominé-e est tellement compliqué qu’on peut aisément concevoir que le combat contre les systèmes qui perpétuent l’oppression (et les privilèges qui en découlent) est valable.

Mais quand il s’agit de grosseur, on est baigné dans le mythe qu’il est possible de changer, de se positionner de l’autre côté de l’axe et de passer ainsi chez les privilégié-e-s, les minces. Peu importe que les régimes ne fonctionnent, avec un recul de 5 ans, que dans 5% des cas. Peu importe que la chirurgie bariatrique ait des conséquences sérieuses et dangereuses pour la santé. Non, ce qui compte, c’est que vous remplissiez les caisses des groupes pharmas en achetant leurs produits “miracles”. Ce qui compte c’est que vous soyez des meufs baisables, des meufs qui correspondent aux normes de beauté en vigueur pour être vendables sur le grand marché de l’hétérosexualité obligatoire. Les Etats favorisent des campagnes contre l’“obésité”. Pas des campagnes qui mettent l’accent sur un mode de vie sain pour tou-te-s (défi pourtant essentiel au vu de toute la malbouffe qu’on ingère, capitalisme, merci), pas des campagnes qui prennent en compte les études qui montrent que corrélation entre grosseur et certains problèmes de santé ne signifie pas causalité. Non, pas celles là, mais les campagnes qui désignent des boucs-émissaires, les campagnes qui nous assènent que les gros-ses ne méritent pas de vivre, qu’il faut les éliminer, les faire disparaître (en leur promettant d’accéder au grade si valorisé de mince, de “normal-e” quoi). Peu importe que cela se fasse au mépris de leur santé, en leur conseillant des régimes, des chirurgies.

Ce qui compte, tout ce qui compte dans le système néolibéral, c’est que vous preniez la responsabilité de vous battre toute votre vie contre votre corps pour entrer dans ces chaises, dans ces vêtements, pour que vous soyez désirables, pour que vous, en tant qu’individu-e-s, ayez accès aux mêmes choses que les autres. Nan parce qu’on ne va quand même pas se battre collectivement pour changer la société pour faire une place pour tou-te-s.

En fait, cette responsabilité n’est qu’une illusion, un bon moyen de contrôle: on vous occupe l’esprit, on vous distrait de la désobéissance.

LA DESOBEISSANCE EST VITALE. (la grosseur comme moyen de survie en contexte néolibéral).

Aesthetically, fat is the antithesis of the beauty ideal of the day: tight, lean, and toned. Viewed, then, as both unhealthy and unattractive, fatpeople are widely represented in popular culture and in interpersonal interactions as revolting – they are agents of abhorrence and disgust. But if we think of revolting in terms of overthrowing authority, rebelling, protesting, and rejecting, then corpulence carries a whole new weight as a subversive culture practice that calls intoquestion received notions about health, beauty, and nature. We recognize fat asa condition not simply aesthetic or medical, but political.
Kathleen LeBesco, RevoltingBodies? The Struggle to Redefine Fat Identity, 2004
Kathleen LeBesco, “Queering Fat Bodies/Politics”, in: J. E. Evans & K. LeBesco,Bodies Out Of Bounds. Fatness and Transgression, 2001

Les systèmes d’oppression sont entremêlés. Ils sont puissants. Et il faut se battre pour tous les défier.

Je refuse de croire qu’il y a une personne mince enfermée en moi. Ma vie, c’est maintenant, ce n’est pas en contrôlant mon apparence et essayant de discipliner mon corps que je peux être heureuse. Et c’est entre autres cette liberté qui favorise la militance. Elle active la possibilité d’un combat pour changer les représentations, pour faire vaciller certains systèmes d’oppression, pour proposer des espaces sécurisés à des groupes de personnes opprimées. Petite contribution, mais pas anecdotique. Je refuse qu’on inculque à des enfants de se concentrer sur leur apparence et les privilèges qui y sont liés plutôt que de leur apprendre la désobéissance.

Dire à des enfants, à des femmes, à n’importe qui, que “ce serait bien de maigrir parce qu’on vit dans un monde où il est plus facile d’être mince”, c’est perpétuer l’idée que les dominé-e-s, tou-te-s les dominé-e-s, sont responsables individuellement de leur condition et que c’est à eulles, individuellement, de se bouger pour changer leur condition. NON! C’est collectivement qu’on changera le monde, c’est en prenant en compte l’intersectionnalité des luttes.

On pourrait déjà commencer, chez nous, auprès de nos proches, en les encourageant et en les aidant à revendiquer une place dans ce monde, et ce sans les responsabiliser d’être pauvre, gros-se, malade, LGBTQI, …

Une fois que (la possibilité de) cette place-là est trouvée -aussi fragile soit-elle, toute merveilleusement instable et sublimement mouvante- il est plus aisé pour chacun-e de se battre contre les injustices et de faire en sorte de créer un construire un monde où plus de gens auraient une vraie place. Une fois que l’idée se répand que ce n’est pas nous qu’il faut changer, mais les injustices. Ainsi, ma place de grosse gouine est un positionnement de choix. Et le vôtre?

N’acceptons pas le monde tel qu’il est! N’acceptons pas ce gouvernement belge, par exemple! Ré-inventons le monde. Soyons désobéissant-e-s, résistons, soyons en vie!

 

 

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