Les combats contre l’oppression des personnes grosses / 1: Riot not Diet

Il existe des tendances dans les façons dont témoignent, militent ou s’organisent les personnes grosses et dans les moyens qu’yels utilisent pour le faire. Peut-être inconciliables. Certainement pas irréconciliables. D’une oppression commune découlent une multitudes de vécus et une grande variété de mécanismes de gestion des discours dominants.

En ce qui me concerne, je me revendique du militantisme gros (fat activism) depuis près de cinq ans et la hargne avec laquelle je hurle Riots not Diets (la rébellion, pas les régimes) demeure inchangée. Il s’agit d’un rejet de l’industrie des régimes et de la chirurgie de perte de poids (inefficaces sur le long terme de toute façon (0)), un cri féministe s’élevant contre le contrôle du corps des femmes et un appel à s’engager dans le changement social, la rébellion, voire les émeutes. Pour paraphraser librement Naomi Wolf : une société qui fait une fixette sur la minceur des femmes est une société où celles-ci n’ont pas l’espace de cerveau disponible pour se rebeller (1). Cette affirmation laisse pourtant peu de place à la capacité de négocier avec les injonctions, d’user de stratégies ou de survivre en mode guerrière même en intériorisant et en incorporant les normes sociales de minceur (2). Par ailleurs, Wolf appartient à une lignée de féministes minces qui parlent volontiers de l’idéal de minceur et de ses conséquences sur les femmes, mais jamais des femmes grosses. Aussi, je reprends volontiers le constat de Kathleen LeBesco : si nos corps sont considérés comme abjects, révulsants, écœurants (revolting), nous pouvons toujours nous les réapproprier en corps en révolte (revolting) (3).

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Riots not Diets. Ce slogan anti-régime coupe l’herbe sous le pied aux personnes qui commentent nos corps, le contenu de notre caddy ou notre état de santé supposé. Il invite celles-ceux qui suivent des régimes visant la perte de poids à éviter de nous en rabattre les oreilles. Difficile en effet de ne pas entendre derrière leurs propos sur leur propre poids qu’yels ne veulent pas devenir ou rester comme nous, gros-se. On se passe très bien de ce rappel social de plus de l’invivabilité de notre corpulence (4), quelle que soit la raison invoquée cette fois : santé, beauté,…

Avec cette demande de bienveillance à l’égard des (autres) personnes grosses, il ne s’agit pas d’enjoindre  au silence celles-ceux qui sont au régime ou qui planifient une opération gastrique, mais plutôt de les inviter à réfléchir à l’usage de leurs mots et des espaces dans lesquels yels les déploient. On échappe rarement au sous-entendu que notre corps est foncièrement mauvais (pubs, médecins, documentaires,…). Et on demande dès lors juste un peu de répit. Dans certains contextes, sur demande, je suis bien sûr toute disposée à écouter les personnes qui souhaitent me parler de leurs régimes et surtout du mal-être qui pousse à s’affamer ou à subir une chirurgie dangereuse. D’autant plus qu’il est largement alimenté par le monde médical. En effet, difficile de résister à l’envie de perdre du poids quand on vous la présente comme la condition pour tomber enceinte et pour une grossesse sans complications ou bien encore quand votre endocrinologue ou chirurgien-ne y conditionne une partie de votre transition (5).

Je rêve, pour toutes les personnes gros-ses, de ces espaces où nous ne sommes pas contraint-e-s de s’entendre répéter ad nauseam que nos corps sont invivables. Tant qu’ils sont rares, il faut se soutenir et se respecter les un-e-s les autres au lieu de présenter d’un côté les « hyperdéconstruit-e-s » qui pourraient résister à ces injonctions et de l’autres celles et ceux qui se dépatouillent difficilement avec elles. Et puis, il n’y a pas qu’une façon de résister. Il n’y a pas des choix qui font de vous un-e bon-ne militant-e et d’autres qui vous excluent de l’activisme. L’éventail de nos résistances, de nos stratégies et des récits de nos survies dans un monde hostile et anti-gros-ses est la preuve de notre richesse et de notre force.

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Je suis grosse et fière de l’être par-dessus le marché ! Autant vous dire que beaucoup de gens ont du mal à l’avaler. Dans sa version la plus basique, leur outrage puise avant tout dans une pensée qui voit le corps comme intrinsèquement sale, séparé de l’esprit et comme une carapace qu’il faudrait détester, en particulier si vous êtes meuf et/ou  trans*. Les réactions se déclinent aussi sur le mode : tu es malade, tu es obèse, comment peut-on être fière d’être malade ? Toutes les personnes malades, handicapées ou souffrant de troubles mentaux se retrouvent ainsi, par ces discours, confinées à une haine de leur corps tandis que les minces valides se pavanent. Et puis bien sûr, il y a ce registre : il est socialement convenu que tu es laide et toi, en tant qu’individu-e, tu n’as pas le droit de prétendre déroger à cette règle, les normes de beauté sont faites pour être respectées et l’ordre sexiste, raciste, postcolonial, classiste, validiste, âgiste, grossophobe qui le sous-tend également. Ces dernières années, reflet de la panique morale autour de la grosseur, on a aussi massivement accusé sur les fat activists de « promouvoir l’obésité » (6) (ah oui, il paraît que ça s’attrape comme ça puisque l’OMS a décrété à la fin des années 90 que c’était une épidémie, terme pourtant réservé aux maladies contagieuses… noooooon, ne me regardez pas m’apprécier comme je suis, vous pourriez vous transformer en ça aussi)(7).

La suite dans :

Illus: mes collages

Notes :

(0)    Eh oui, figurez-vous qu’aucune étude n’a jamais prouvé qu’il y avait une garantie de maintenir une perte de poids au-delà de quelques années. La perte de poids échoue sur le long terme pour l’écrasante majorité des gens. Ce n’est pas une question de volonté mais de métabolisme. Clic clic: Lucy Aphramor, Validity of claims made in weight management research: a narrative review of dietetic articles ; Ragen Chastain, Seriously, Weight Loss Doesn’t work 

(1)    “Une culture qui se concentre sur la minceur des femmes n’a pas une obsession pour la beauté des femmes mais pour leur obéissance. Les régimes sont le sédatif le plus puissant de l’histoire des femmes ; une population calmement folle est une population docile », traduction par mes soins de : “A culture fixated on female thinness is not an obsession about female beauty, but an obsession about female obedience. Dieting is the most potent political sedative in women’s history; a quietly mad population is a tractable one.” Naomi Wolf, The Beauty Myth. Ce classique des années 90 a été traduit en français sous le titre Quand la beauté fait mal. Dans le même registre, le Beauté fatale : Les nouveaux visages d’une aliénation féminine de la journaliste Mona Chollet est un ouvrage francophone plus récent et incontournable.

(2)    Une critique développée par la chercheuse et militante anglaise Charlotte Cooper dans Fat and Proud. The Politics of Size en 1998 (pp. 5-6). Retrouvez-la sur obesitytimebomb.blogspot.comcharlottecooper.net sur et dans son dernier ouvrage Fat Activism: A Radical Social Movement, 2016

(3)    Dans Revolting Bodies ? The Struggle to Redefine Fat Identity, 2004 et l’article “Queering Fat Bodies/Politics” dans Bodies Out Of Bounds. Fatness and Transgression, 2001.

(4)    Sur la vie de personnes grosses comme vivable et digne d’être vécue dans un contexte de « minceur obligatoire » voir l’interprétation des théories de Judith Butler par Charlotte Cooper dans Fat Activism: A Radical Social Movement et celles de McRuers, Rich et Wittig par Jackie Wykes dans « Why Queering Fat Embodiment ? » l’introduction de Queering Fat Embodiment (consultable en grande partie sur google books) : https://books.google.be/books/about/Queering_Fat_Embodiment.html?id=jBE3DAAAQBAJ&redir_esc=y Si comme moi, vous êtes un peu intello mais beaucoup paresseux-se, voici la vidéo de présentation du livre : https://www.youtube.com/watch?v=G8g5lsiOkA8

(5)    Francis Ray White, « Fat/Trans: Queering the Activist Body », 2014, dans Fat Studies. An Interdisciplinary Journal of Body Weight and Society

(6)    Pour dédramatiser, quelques articles : http://www.fatgirlflow.com/glorifying-obesity/ ; https://www.bustle.com/articles/115527-rachele-cateyes-glorifying-obesity-illustrations-fight-fatphobia-one-adorable-and-body-positive-step-at-a-time ; https://danceswithfat.wordpress.com/2015/09/21/just-hanging-out-glorifying-obesity/

(7)    L’Organisation Mondiale de la Santé organise en 1997 un sommet sur Obésité : prévention et prise en charge de l’épidémie mondiale qui fige au niveau global les définitions du « surpoids » et de l’ « obésité ». S’en suivent une panique morale reprise par les médias et une légitimité pour la stigmatisation et la culpabilisation des personnes grosses.

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