publication initiale sur mon blog Grosse Fem: 18/06/2017
Des luttes contre l’oppression de la grosseur est née la body positivity, un mouvement qui a, sous certaines de ses manifestations, dépouillé le fat activism et la disability justice (1) de leur radicalité. J’aimais bien l’expression « fat positivity ». Quand le collectif Fat Positivity Belgium dont je faisais partie il y a quelques années l’a adoptée, nous pensions qu’il y avait une portée radicale dans l’association de la grosseur à quelque chose de positif alors que notre environnement nous rappelait sans cesse que ça n’était pas le cas. Nous rejetions aussi l’idée de « fat acceptance » : pas d’acceptation dans les normes pour nous, pas d’assimilation, mais plutôt un appel à bousculer les normes corporelles (grossophobes, hétérocissexistes, racistes, handiphobes), le capitalisme, les politiques de santé publiques culpabilisantes, l’institution médicale.
Et puis, dans les médias mainstream, avec la visibilité d’une partie du mouvement body-positive, la « positivity » une injonction. Elle est aussi devenue un argument pour générer des profits pour les grandes entreprises. Quand je me penche sur les compte-rendu des groupes de parole que FatPo organisait, il est évident que la « positivity » était un appel à changer les représentations, à gagner en puissance par rapport à nos propres corps. Et ce, sans pourtant chercher à éclipser nos expériences difficiles, nos traumatismes, notre tristesse, nos solitudes. La positivité présentée aujourd’hui invisibilise en revanche la réelle souffrance de nombreuses personnes grosses. Cette souffrance est compréhensible dans le contexte d’une haine des gros-ses et d’une pathologisation constante. Elle ne peut être évacuée à coups de slogans body-positive. L’injonction au bien-être nous aura ainsi rattrapé-e-s tandis que nos discours ont été co-optés et dilués par les marques. La résistance au capitalisme requiert une capacité de mutation rapide pour tous les collectifs engagés dans une transformation sociétale. Se réinventer pour se faufiler dans de nouvelles failles. Modifier les modes d’action et de manifestation de notre contestation.
Entre une place nécessaire pour la tristesse, la dépression, les troubles alimentaires et les douleurs physiques dans les collectifs et dans les récits de vie de personnes grosses et l’intégration des messages dominants dans nos argumentaires, il n’y a qu’une fine frontière. Avec une pluralité neuve de discours sur la grosseur dans le monde francophone, je vois apparaître un champ lexical que je ne souhaite pas utiliser en tant que militante car il ne rejette pas la pathologisation. Je m’interroge (sans le rejeter en bloc a priori) ainsi sur le choix de la rhétorique de l’« obésité » : Correspond-il à une analyse commune de maladies partagées ? Est-il stratégique ? Dans ce cas, est-ce dans le sens d’un meilleur relais par les médias ou d’une meilleure prise en charge par le corps médical ?
L’homosexualité était désignée comme une pathologie psychiatrique, validée par des arguments « scientifiques » (dans le contexte de ce qui était alors reconnu comme scientifique) et inscrite au DSM, la bible de la psychiatrie. Les transidentités sont encore largement pathologisées et psychiatrisées. Pendant une partie du 20e siècle, les mouvements homosexuel-le-s, ancêtres des luttes LGBT+ et queer, étaient majoritairement homophiles, c’est-à-dire que le diagnostic n’était pas contesté et que les revendications s’axaient sur une acceptation au sein de la société malgré cette tare supposée.
A l’image de la cassure provoquée dans cette tendance par l’arrivée de groupes révolutionnaires (émeutes de Stonewall aux Etats-Unis, les Gouines Rouges et le FHAR, front homosexuel d’action révolutionnaire, en France), faut-il envisager le rejet d’un discours pathologisant, le fait d’assumer un rôle de pertubateurs-rices dans une société oppressante et la revendication d’une fierté en tant que groupe, comme les conditions nécessaires d’une libération et d’une justice sociale ?
Faut-il que les personnes gros-ses s’en inspirent ? Assure-t-on ainsi une émancipation durable (l’activisme LGBT+ a démontré l’écueil de la dépolitisation et de la normalisation) ? Ou cette justice sera-t-elle garantie en acceptant les diagnostics médicaux dont on sait néanmoins qu’ils sont avant tout le reflet d’une époque, de normes et de jeux de pouvoir ? Qu’en est-il de l’acceptation de théories psychanalytiques qui font de la grosseur un excédent qu’il faut absolument faire parler et supprimer ? Devons-nous nous libérer de ces schémas explicatifs ? Ou, au contraire, nous aident-ils à faire sens de nos existences et sont-ils mobilisables dans nos combats ? Faut-il faire un choix entre ces voies pour être radicaux-ales ou doivent-elles co-exister et complexifier ainsi les visions de nos corps et de la vie de gros-ses ?
Face aux explications monolithiques, la diversité me paraît bonne à prendre. Nos opposant-e-s nous diront, comme à tout mouvement social qui refuse le langage simpliste et faussement unifiant du pouvoir, que la diversité de nos voix dilue, qu’elle paralyse ou qu’elle nous rend inintelligibles. Nous savons qu’elle est déjà la création d’alternatives.
Le début de la série :
- La partie 1 : Riot Not Diet
- La partie 2 : Vocabulaire
Note
(1) Cases Rebelles, Sins Invalid, des corps révolutionnaires
Nomy Lamm, This is Disability Justice