Où sommes-nous?

Préambule : Les personnes considérées comme « « obèses » » constituent un cinquième de la population par ici.

Où sommes-nous ?
Je tente de me frotter les yeux
Émergeant d’un cauchemar
Je n’y parviens pas
Dos courbaturé
Je tends la main dans le vide
Où sommes-nous ?
Le vide ne répond pas

Je t’ai cherchée partout
Dans les livres d’abord
Scolaire et isolée
Je t’ai cherchée sur les scènes
Je t’ai cherchée dans les réunions
J’ai zappé à en dézinguer la zappette
Tu n’es pas venue

Où es-tu ?
Tu es le spectre qui me taraude
Ton existence conditionne la mienne
Je t’ai aperçue
Imprimée sur les pages
Par les fantasmes d’une autre
Déformée sur l’écran
Pantin à la merci des campagnes de haine
Ce n’était pas toi
J’aurais dû m’en douter
Mais je me suis retrouvée piégée
Je te l’avoue
Je me suis laissée piégée à force de silence

Tu es devenue ce qu’il fallait que tu sois
La grosse marrante
La grosse avec de l’auto-dérision
La grosse au beau visage
La grosse qui s’excuse perpétuellement

La grosse qui n’aspire qu’à maigrir
La grosse qui met sa vie en danger pour ça
La grosse que personne n’aime
La grosse qui sert de faire-valoir
La grosse repoussoir en miroir
Dont le reflet rebute autant qu’il rassure
Celle qu’il ne faut pas devenir
Celle qui ne peut pas devenir
Qui n’adviendra que si elle disparaît
J’ai absorbé ce modèle
Puisque tu n’étais pas là
J’ai tendu vers l’épouvantail de toi

Je pleure, mon amie, mon rêve
Une personne sur cinq
Mais ce n’est pas ma tatoueuse
Ce n’est pas la journaliste ni l’autrice
Ce n’est pas elle derrière le comptoir
Ce n’est pas elle derrière le pupitre
Ce n’est pas elle dans la rue
Ce n’est pas elle sur le quai
Elle n’est pas en train de monter les paquets
Ni les bras chargés d’herbes à l’aube dans la brume
Ni croquant une pomme, ni savourant des frites
Ni dans le métro tard le soir au retour d’un rencard
Ni pleurant de rire, ni incommensurablement triste
Tricheuse, chialeuse, joueuse
Où es-tu ?

Une sur cinq

Alors je compte
Je fais défiler le téléphone
1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9,…
Une application après l’autre
34, 35, 36,… ah, voilà une chanteuse grosse
J’écoute les infos
Pub pour ne pas devenir toi
Ne pas rester toi
Des minces dans les micro-trottoir
Épidémie de toi :
Gros plans sur des bourrelets
Dos dans la rue
Des bouts de toi, démembrée
De la bouffe
ça y est, je désespère

Je tire les cartes
Tu n’es pas là

J’arpente les trottoirs
A la sortie des bureaux
Tu n’es pas là

Je crois apercevoir ton ombre
Frôlant les murs
Écrasée aussitôt par deux meufs
Qui discutent de régimes
Elle fond dans le caniveau
Tu n’es pas là

Je longe les terrasses
Tu n’y seras pas
Les bords des chaises sont trop étroits
Ils font barrage

Dans la salle d’attente chez la médecin
Un tas de brochures visant ton anéantissement
Tu n’y seras pas
Seulement ton spectre
Exclue
Tu n’es pas là

Derrière le guichet
Il faut être belle
Il paraît que si tu l’es
C’est de l’intérieur
J’entrevois ta silhouette
Loin derrière
Où es-tu? Qui es-tu?

Où sommes-nous ?
Larges mais si discrètes
Occupant peu d’espace
J’ai besoin de te savoir pour émerger
J’ai besoin de toi
Besoin de savoirs
Besoin des ressources que tu me tendrais

Ma main retombe

Le vide…

Je m’en retourne aux cauchemars

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