Les 9 ans de ma robe moulante et de mon dernier régime

J’ai découvert les photos de ma fête d’anniversaire. J’ai détesté mon double menton. C’est comme ça que j’ai entamé mon dernier régime.

J’étais fière de cette robe. Mon corps moulé par son drapé me paraissait si sexy. C’était ma première fois en robe moulante. Depuis plus de 10 ans, je ne sortais pas sans masquer le haut de mes bras, dissimulant ainsi mes cicatrices d’automatisation et leur grosseur. Je maîtrisais donc la parade : un gilet complétait ma tenue.

Je me suis amusée. J’ai ri à gorge déployée. J’ai posé pour les photos. Je me sentais bien et épanouie. Ça ne m’arrivait pas tous les jours. Ce jour de mes 26 ans, j’étais euphorique et, surtout, certaine qu’aucune phase dépressive ne m’attendait pas au tournant. Je commençais à me sentir bien dans mon corps. Mes nouveaux neuroleptiques n’avaient – enfin ! – pas la prise de poids comme effets secondaires. Quel soulagement ! Ils me cassaient moins. J’avais envie de m’ouvrir au monde.

Les fameuses photos:

 

Cependant, quand j’ai découvert les photos, j’ai détesté mon double menton et j’ai voulu maigrir. J’étais dégoûtée de moi-même. J’ai d’abord affiné mes arguments: je ne pouvais pas être en paix avec mon corps si j’avais un double menton ; on m’avait toujours dit que mon joli visage sauvait mon immonde grosseur, qu’allais-je devenir si la graisse se mettait à le déformer ; il fallait que je fasse attention à ma santé, même si j’étais en parfaite santé, parce que l’obésité ne pouvait que me mener à l’infirmité que je redoutais tant (comme tou.te.s les valides).

J’avais souvent fait des régimes. J’étais confiante. On perd généralement 5 kg le premier mois, c’est tellement grisant qu’on en oublie les malaises, les privations, la faiblesse. Les 5 kg suivants nécessitent de la persévérance mais sont habituellement l’affaire de quelques mois. Ensuite, les plateaux se succèdent, on stagne, mais il faut tenir. Ténacité était le maître mot. Je brandissais le spectre des 100 kg tout proche en guise de motivation par la terreur. Il était impératif de ne pas dépasser cette barre fatidique : tenir, Catherine, pas pour devenir mince, mais pour perdre une vingtaine de kilos, puis assurer le maintien à 75, allez, Cathou.

Tout s’est passé comme prévu pendant les 6 premiers mois. Mais ma santé mentale a morflé. Pourquoi étais-je convaincue que j’infligeais ça à mon corps pour ma santé ? Les neuroleptiques miracles n’ont pas tardé à révéler des effets secondaires insupportables. Je ne voulais pas redevenir folle, je m’y accrochais. Les yeux coincés dans le haut de leur orbite quand j’étais fatiguée était le prix à payer. Le travail à temps plein rongeait toutes mes ressources psychiques, je m’entêtais, je n’avais pas de route de sortie.

J’ai arrêté l’Abilify en même temps que le régime. J’avais perdu 13 kg. Il était hors de question que je repasse au Risperdal puisque chaque reprise du traitement signifiait la prise de 10 kg en 3 mois. J’étais moins grosse, mais tellement plus mal. Les psychoses revenaient. Les envies suicidaires grondaient. J’établissais des plans pour mourir. C’est pas passé loin. Les alternances d’euphorie et de dépression ont laissé leur place à une phase maniaque. Je perdais pied, complètement. Je préférais attendre avant de reprendre le traitement. J’étais plus mal dans cette manie que dans la dépression. Je me voyais m’échapper: ne plus pouvoir dormir, m’emballer dans des longs monologues dont je voyais bien qu’ils laissaient tout le monde perplexe, sautiller plus que jamais quand quelque chose m’excitait, parler d’une voix suraiguë, m’emballer toujours plus. Pourtant, les kilos et puis la vie sans saveur, régulée par les antipsychotiques, était-ce vraiment nécessaire ?

Un an et demi après avoir commencé mon dernier régime, ma meilleure amie a claqué la porte, j’ai repris mes neuroleptiques et aussi le poids perdu, j’ai compris que j’étais lesbienne, vraiment lesbienne, j’ai fait en sorte de sortir de mon isolement et de me faire des amies, je suis devenue sociable. Et j’ai commencé à aller mieux.

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Je suis sortie des régimes. Neuf ans plus tard, cette robe est plus moule-bourrelets que jamais. Et moi, je l’aime plus que jamais. J’essaie aussi de poster un maximum de photos où mon double menton apparaît clairement car il n’appartient pas au champ de tabous, il n’a pas besoin de filtres ni du bon angle. C’est pas facile. Je sais pas si je l’aime. Mais il est là. Mon corps, c’est moi, c’est pas le rêve de quelqu’une de mince enfermée là-dedans. Mon double menton s’affirme.

 

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