De tous ces lieux unanimement considérés comme flippants, il y a le tien, celui où tu te sens bien. Celui où les tumultes sont des zones à explorer plutôt que des endroits bannis, à distance desquels il convient de se tenir. Tu vois bien ce qu’on lui trouve de chelou. Mais c’est ton genre de chelou. Tu n’as pas peur.
Tu y rôdes la nuit en rêve, pour parler aux briques, interroger les chauve-souris ou observer les vies qui s’animent à travers les fenêtres. Tu plonges sous la surface de la rivière pendant des heures pour fouiller la vase et mettre au jour ses trésors. La morte que tant d’hommes ont peint, érotisée, prisonnière de leur regard, flottant dans les fossés, c’est peut-être bien toi. Et tu n’as rien à voir avec leurs visions! Tes doigts se glissent dans les tréfonds. Tu puises de quoi revenir plus intrépide, encore moins domptable. Qui tu es doit demeurer insaisissable pour le sens commun.
Tu arpentes ton chez-toi, le territoire effrayant pour d’autres et rassurant pour toi, la contrée où les repères habituels sont proscrits. Quand les vents rugissent, tu sais de quoi ils sont le signal. Quand la glace se fige et que tes doigts virent au violet, tu sais dans quel recoin t’abriter. Tu es chez toi, en sécurité, animé.e, dans ce qui serait un cauchemar pour quiconque. Est-ce que tu te risquerais sur l’autre rive ?