Qui de mieux que l’Impératrice / Lae Créateur.ice d’un tarot lesbien de 35 ans pour répondre à une question épineuse? Quelqu’une a demandé à mon amoureuse Rose Butch pourquoi elle dessinait toujours son épouse dans des poses sexualisées.
C’est une question qui m’interpelle beaucoup (OK, ça m’a choquée et j’ai démarré au quart de tour en mode virulent). Je mène une réflexion de fond sur l’hypersexualisation des corps de grosses. Je prends pas le sujet à la légère (sans mauvais jeu de mot).
D’abord, je voudrais clarifier un élément. Les poses dessinées sont mes poses, mises en scène par moi et souvent prises en photo par Rose pour le dessin ou pour d’autres usages. Ce n’est pas nécessairement le cas pour ses grandes toiles, mais franchement je vais pas me plaindre que ma meuf me kiffe, me trouve sexy et me demande de poser et top biche fem. Pour ses dessins récents, ça me perturbe qu’une meuf à l’apparence féminine soit forcément renvoyée au regard de l’autre, dépouillée de son agency, sa capacité d’agir, dès lors qu’elle se met en scène, ce qu’on considère d’ailleurs comme le propre de la féminité. Il y a un côté inévitable dans la lecture sexualisante que d’autres font (ou pas) de notre corps à certains moments. Ça peut réveiller des blessures profondes ou bien révéler une impression de perdre le contrôle. Ça peut compliquer notre rapport au corps aussi. Mais c’est là. On se regarde. On se lit. On est des êtres sociaux quoi.
Le cœur du sujet…
Quand j’ai commencé à poser pour des photos, mon souci principal était justement d’éviter l’injonction au sexy – qui plus est un certain type de sexy, celui qu’on réserve aux grosses, très voluptueux. Je ne le répéterai jamais assez: Prendre des selfies et, plus encore, être prise en photo, a été une étape capitale dans l’apprivoisement de mon corps. Elle m’a permis de faire la paix avec lui. Seulement, au début de mon parcours de fat activist, vers 2013, pour les premières photos, j’étais en opposition totale avec l’idée traditionnelle du sexy. J’avais l’impression (qui ne s’est pas dissipée) d’être enfermée dans le regard des autres si je cédais trop aux codes sociaux. L’intérêt du regard sur mon corps, pouvoir en imprimer les coutures et me confronter à mes propres préjugés, tout ça devait se passer du registre sexy, trop prévisible, trop contraignant, bref saoulant. Au final, je me suis trouvée mais grave sexy quoi, en étant simplement joyeuse devant l’objectif, virevoltante, en harmonie avec ce corps tant haï.
Ça reste un élément essentiel de ce que je cherche à partager, pour les corps gros et les autres: aucun corps, aucune nudité ne doit être sexualisée en soi. Longtemps, j’ai bataillé contre la perception de mes décolletés comme provocants ou affriolants. Faut pas déconner, c’est mon style, c’est mon confort. Ça me gave que les seins soient sexualisés.
Ceci étant dit, on ne vit malheureusement pas dans un monde postpatriarcat. Les corps des meufs et/ou lus comme féminins sont sexualisés. Constamment. Devant le dégoût que provoquent les corps gros, c’est un enjeu d’affirmer leur sexitude, de la balancer sous le nez des grossophobes et surtout de proposer sa représentation aux femmes grosses pour qu’elles réévaluent leur vision d’elles-mêmes et de leur désirabilité. Ça a changé la perception de moi-même aussi. Des représentations de grosses sexy et de badass du new burlesque, le porno lesbien avec des grosses, tout ça ouvre un univers invisible jusque là. Donc, oui, bien sûr, évidemment, mille fois évidemment, ça fait partie de ce que je veux proposer et je continuerai de le faire. La réponse aux représentations affreuses des lesbiennes dans le porno mainstream, dans la pub et autres productions déterminées par le regard masculin, ce n’est pas, d’après moi, de rejeter le sexy ou les représentations sexuelles en bloc. Pour ça, le partage de nos représentations, de notre sens de ce qui est excitant est un outil. S’il passe par ce qui est plus conventionnellement accepté comme sexy aussi. C’est une porte d’entrée (mais pas la mienne, on l’aura compris).
Enfin, je suis féministe, je suis une fem, je suis handie. Si je vous propose des photos de mon cul tandis que le reste du corps est balancé vers l’avant (le dessin et la photo qui ont suscité la question), il s’agit bien sûr d’une parodie des représentations sexistes comme on les voit en affiches de films ou en pub. Mais ! Si j’utilise mon hyperlaxité pour que mon visage et non ma chatte ou mes fesses soient en centre du cadre, c’est bien que j’entends remettre mon autonomie de meuf grosse, mes possibilités de défendre mon corps et ma sexualité au cœur de l’image. Et ça, ça fait partie du truc. Je ne cherche pas le sexy. Je cherche à détourner, à renverser, à faire réfléchir. Je sais que l’intégralité de ma démarche se perd dans un monde de l’image. Mais mes poses sont déjà une faille, un espoir, une contestation et surtout une réappropriation.
Ça se perd dans la lecture. Peu importe. Je m’obstine.