Ma réponse à « C’est quoi pour vous être sorcière ? », une des questions posées le 16 novembre lors de la rencontre « sorcières et militance » organisée par charliequeen.org à Le Vecteur.
Sorcière, c’est un mot puissant (au moins autant qu’il est frustrant et fuyant) parce qu’il est polysémique. En raison de ses multiples sens, qui se confirment aussi historiquement, il est impossible de donner une définition définitive et générale de la sorcière. Cette fluidité qui fait que le mot nous échappe parfois est aussi ce qui en fait l’intérêt.
Pour élaborer une définition toute personnelle, informée autant par ma spiritualité que par mon parcours féministe…
Si je dois choisir des termes précis pour définir mes convictions et ma pratique, je dirais que je suis païenne, sensible aux mondes invisibles, intéressée par les pratiques liminales, avec un penchant pour le polythéisme. Si je réalise des charmes et des rituels, ce n’est régulièrement.
Je tire les cartes d’une façon intuitive et divinatoire. Je ne lis pas particulièrement l’avenir, mais j’utilise ce support pour accéder, avec le consentement de quelqu’un, à des informations auxquelles je n’accéderais pas dans mon état « normal ». Pour ça, j’active « les clairs » et je travaille avec ce que j’appelle « les guides ». Je me suis formée et j’ai beaucoup pratiqué pour ça. Mais je n’ai pas été initiée à la sorcellerie ou à la cartomancie au sens traditionnel du terme qui semble encore à ce jour impératif pour certain-e-s. Je n’ai pas la discipline de certaines sorcières. Je fais mon petit bonhomme de chemin assez éclectique dans tout ça.
Je dois dire que le terme sorcière, d’un point de vue spirituel, ne m’est pas utile en soi par rapport à d’autres comme païenne.
En fait, à la réflexion, sorcière, pour moi, c’est ce qui fait le lien entre tous ces éléments d’une part et de l’autre le féminisme ou la militance plus largement. Comme un chaînon manquant.
Tout d’abord, ça crée un lien entre ma pratique et d’autres pratiques:
– je travaille avec Hécate, la reine des sorcières, parmi ses nombreux titres.
– Je m’intéresse à l’héritage de la chasse aux sorcières, même si ce féminicide visait avant tout des femmes et des personnes au genre déviant de la norme, et pas des sorcières.
-Sorcière historique parce qu’en travaillant avec l’invisible, j’accède à des contenus, des informations qui me viennent de l’époque. Et sans doute parce que je suis historienne de formation et j’aime fouiller les histoires.
– Sorcière historique parce que les luttes féministes se sont emparées de « la sorcière » comme une figure de proue depuis les années 60. Le terme sorcière, c’est un héritage féministe vaste. C’est une volonté de continuité critique. C’est de la réflexivité dans les luttes. C’est comprendre d’où on vient. C’est partager des savoirs et des soins en résistance à l’hétérocispatriarcat, au capitalisme, au racisme et au colonialisme, etc.
– Finalement je me retrouve avec un héritage un peu éparpillé, pas forcément cohérent et parfois épuisant. Il y a des liens, certes, mais ils sont un peu discontinus. Il y a du queer, des pointillés.
Je suis ici aujourd’hui avant tout pour défendre « sorcière » comme une posture spirituelle à sans cesse mettre en lien avec les luttes, la contestation, les utopies, les créations, etc.
C’est parfois difficile car certaines féministes brandissent la figure de la sorcière tout en considérant avec condescendance nos pratiques – et d’autres pratiques spirituelles et religieuses! En ayant travaillé dans le mouvement féministe pendant plus de 10 ans, j’ai constaté, chez certaines en tout cas, une opposition farouche à toute forme de spiritualité. Or, « Sorcière », c’est un ailleurs du féminisme, en particulier du féminisme institutionnel et professionnalisé. C’est un lien avec des personnes qui ont de tout temps contesté les systèmes d’oppression pas frontalement mais par le biais d’un travail de sabotage, de résistances quotidiennes, de solidarité. Ce sont des pratiques et des éthiques. C’est un système d quoi, un monde parallèle, une alternative dans le monde, là où la spiritualité et l’invisible ont toute leur place.
Quand je dis sorcière c’est interagir avec l’invisible, ça comprend donc les groupes invisibilisés par le féminisme mainstream: femmes trans, voilées, grosses, racisées, handies, queer, anarchistes, etc. « Sorcière » pour moi fait le lien entre des éléments qui sont chers à mon féminisme et à ma spiritualité. C’est un lieu de ralliement. Un espace liminal de rassemblement. Un corps. Mais ça, ce sera pour la suite que je partagerai un autre jour.