Je suis pas là pour les gens qui comprennent pas pourquoi les positionnements en termes d’identité n’ont pas de sens, qui voient pas les couleurs, qui trouvent cool que je sois une grosse bien dans sa peau mais qui voient pas les enjeux politiques et sociétaux du corps et du corps gros. Si dans ta life, tu as les *privilèges* qui font que tu n’as pas besoin d’étiquettes, de communauté(s) d’opprimé-e-s, de cris de ralliement, tant mieux pour toi (mais viens pas faire la leçon aux gens qui n’ont pas tes privilèges). Si tu trouves quelque chose dans mes écrits et visuels qui te fait du bien ou qui t’inspire, tant mieux et bienvenue ! Mais je suis toujours pas là pour ça.
On me remercie régulièrement pour le travail de vulgarisation, de mettre en avant des thématiques auxquelles on n’aurait pas pensé avant et tout ça. Je suis ravie si ce que je partage a de tels effets. Ça me fait plaisir de participer à élargir des espaces mentaux.
Mais ça n’était pas mon objectif en créant mon blog, alors « en chariot dans l’univers du tarot », en 2016. Ça ne l’est pas plus maintenant. Mon objectif – si j’y arrive un tout petit peu c’est déjà ça – est d’apporter quelque chose aux gens qui voient déjà tout ça, les gens pour qui ça s’inscrit dans la chair, les gens qui vivent l’exclusion au quotidien et qui pensent pas que « l’éveil spirituel » seul va changer toutes les structures matérielles de leur oppression, les gens que les outils d’émancipation laissent sur le carreau. Apporter des mots, du réconfort, de la solidarité, la certitude de ne pas être seul-e.
Grâce à nos « cases » (en vrai, nos identités multiples, fluides, fuyantes, éhontées, affirmées, désavouées) nous nous retrouvons, même si elles sont temporaires. Les revendiquer, c’est pour mieux faire péter les cases qu’on nous impose. On ne fait pas semblant que les systèmes d’oppression ne sont pas en place. On se leurre pas en prétendant qu’il suffit de les ignorer à coups de « on est tou-te-s pareil-le-s » pour les faire disparaître. Se nommer, se trouver des mots alors que les groupes dominants avaient jusqu’ici le pouvoir de nous nommer à notre place et de nous maintenir dans la case choisie pour nous, c’est faire advenir une autre réalité, c’est donner vie à nos imaginaires, nos images, nos mondes, nos alternatives (Monique Wittig forever).
J’écris depuis les marges (et avec tous mes privilèges qui me rapprochent du centre, de la norme, à commencer par être blanche, cis et être issue de la classe moyenne). J’écris depuis l’hors-norme. J’écris en tant que freak. J’écris parce que je suis en colère. J’écris parce que les gros-ses crèvent de la grossophobie. J’écris parce que j’ai perdu blindé de choses dans ma vie parce que je suis gouine. J’écris parce qu’on a besoin de nos étiquettes. Parce que si je dis pas que je suis grosse, ça reste une insulte utilisée pour nous dénigrer et que toi aussi, tu continues à te dénigrer. J’écris parce que si j’avais pas rencontré des fems trans, bies, lesbiennes, gouines (si tu penses que fems, c’est le petit nom de féministes, tu as tort, ça c’est encore le prix de notre invisibilisation par les féministes cis et hétéros)… si j’avais pas rencontré des fems, je serais encore en train de me détester, de vivre avec des phobies sociales, de chercher à crever. J’écris parce que mes communautés sont les raisons pour lesquelles je suis en vie. Elles sont aussi les raisons pour lesquelles je me suis effondrée (nuances, toujours). J’écris pour qu’on ne puisse pas nous ignorer. Pour qu’on ne puisse pas ignorer soi-même ce qui fait notre magnificence (pour paraphraser Mia Mingus sur les magnificences fems et handies). J’écris parce qu’on résiste. J’écris parce qu’on est en vie. J’écris parce qu’on ne les laissera pas nous effacer.A un moment, j’ai voulu me faire tatouer « j’écris de chez les moches pour les moches etc » de Despentes sur le bras. J’écris de là aussi.
Qu’est-ce que ce Chariot du Next World Tarot dit là-dessus ? Que si on laisse les dominant-e-s décider, une personne à l’apparence féminine, sur-apprêtée, racisée, grosse, n’est pas révolutionnaire. Mais ce Chariot en a rien à foutre. Les éléphanteaux qui l’accompagnent vivront des décennies ou peut-être des siècles parce que leurs mémoires font vivre les ancêtres et les ancêtres les portent en retour. Les éléphanteaux sont la promesse d’une transmission et d’une persévérance qui ne sont pas marquées par les règles patriarcales. D’ailleurs, ce Chariot semble regarder vers l’arrière pour mieux aller de l’avant. Elle pratique l’art du slow, l’art des détours, l’art de la citation féministe. Elle va retrouver ses potes fems. Elle en reviendra 10 fois plus assurée. Elle pratique cet activisme. Elle incarne l’artivisme.
Je traduis Cristy C. Road, l’extraordinaire créatrice du Next World Tarot : « Elle est une pionnière. Un véhicule pour la pensée révolutionnaire. Elle pardonne l’agression quand il s’agit de s’insurger (fight back) ; mais elle représente un sentier de résistance alternatif. Le Chariot croit que les longues promenades dans le futur sont de la résistance. Elle croit qu’avant le combat il y a des médiations étendues, des conversations diplomates et l’accès à son soi supérieur – le soi qui n’a pas de raisons de se déchaîner. Le soi qui est sage, indépendant et qui a toute confiance en les créatures les plus sauvages de la terre. La solution que propose le Chariot à un défi passe par un mouvement osé et stratégique – un sermon pour éduquer ou une action directe artistique. »