Faut-il se réjouir de la multiplication de tarots abordables qui se veulent plus « inclusifs »? Les choses sont-elles en train de changer? A qui profite ce juteux business? Qui sont les laissé-e-s-pour-compte? Peut-on se passer de tarots plus représentatifs? Pistes de réponses en 2 parties.
L’inclusivité TM
Les conclusions de mes essais sont catégoriques : la création, la production et l’utilisation de tarots hétéronormés, blanchisés, mincis, ciscentrés, validistes sont le reflet d’un système. Elles y participent. Elles alimentent nos imaginaires, nos visions de nous-mêmes et des groupes opprimés. Lutter contre les normes implicites dans des tarots constitue un réel enjeu de société. Tout comme dans l’art, sur les écrans, dans les romans, revendiquer des représentations plus justes est un enjeu de société.
Poussant ce raisonnement, parmi les multiples facteurs à prendre en compte : le soutien (financier !) aux créateurs-rices qui travaillent dans ce sens. J’écris pour Little Red Tarot, un site britannique qui vend des tarots alternatifs en Europe. Je suis attentive aux initiatives qui passent par des campagnes de récolte de fonds ou des petites boutiques d’artistes. J’ai décidé de mettre en avant et d’acheter en priorité des tarots indépendants. Mais il devient compliqué d’y voir clair… Le capitalisme s’est engouffré dans une niche (enfin, depuis le new age, cette niche a peut-être vu le jour avec des motivations capitalistes).
Vivant tou-te-s dans un monde capitaliste, les artistes, en particulier les artistes minoritaires, doivent développer des stratégies ou faire des concessions pour vivre ou survivre. Je ne prétends pas ici que je suis une exception ou que je suis radicalement opposée aux stratégies dont dépendent notre survie et notre art. Par conséquent, la promotion prioritaire de tarots indépendants ne me mène pas à cesser de soutenir les artistes qui font le choix du mass market, qu’yels soient motivé-e-s par des raisons économiques, de visibilité, parce que ça leur permet de ne pas gérer la lourde production et la communication de leurs decks, ou toute autre motivation.
Tournons-nous vers le système, au lieu de juger les artistes. Le capitalisme a flairé la bonne affaire. L’uniformité apparente des tarots disponibles aurait pu lasser. L’industrie rebondit: la diversité, la positivité, voilà des arguments de vente ! Pour autant qu’on les dépouille de leur radicalité. La diversité sert à uniformiser plus subtilement. Suivant les intérêts économiques, certains tarots à ambitions d’inclusivité des minorités sont publiés par des maisons d’édition mainstream. Si le capitalisme s’approprie soudain des enjeux sociétaux, on peut gager qu’il l’aura vidé de sa substance en moins de deux (y a qu’à voir les dégâts du green-washing, de la caution body positive, etc).
Qui rapporte nos histoires? A qui rapportent nos histoires?
Une des méthodes d’uniformisation, c’est que ce sont toujours les mêmes personnes qui se font du blé grâce à cette « diversité » qui apparaît soudain tombée des nues (alors qu’elle est pompée ailleurs, inspirée d’années de luttes et d’engagements décoloniaux, de justice handie ; etc). Derrière les decks à succès qui surfent sur la vague « tarot et inclusivité », combien de créateurs-rices déjà établi-e-s, blanc-he-s, neurotypiques, valides, cisgenres, minces ? Yels tirent les rênes des histoires quand celles-ci rencontrent le succès.
En conséquence, 1/ ça ne sort pas des groupes sociaux plus pauvres de la précarité puisque ce sont les plus privilégié-e-s qui gagnent de l’argent sur le dos de leur in/visibilité, 2/ ce sont pas vraiment les histoires des concerné-e-s, juste une version régurgitée, lisse, vendable. Apposer le cachet « inclusif » fait vendre presque autant que la mode sorcière. Mais cette adoption par le système capitaliste ne modifie pas les rapports de pouvoir ni leurs conséquences matérielles. Elle y participe. C’est de la poudre aux yeux ! Ce qui ne signifie pas que ces jeux n’ont pas une utilité. Mais qu’il faut rester vigilant-e quant à l’industrie qui est derrière tout ça.
En guise de balbutiement
Avec toutes ces réflexions, faut-il être défaitiste ? Je suis convaincue qu’il faut s’atteler à modifier les représentations, mais je suis tout aussi certaine que, ce faisant, on est vite rattrapé-e-s et bouffé-e-s tou-te-s cru-e-s. Les luttes contre le capitalisme, le racisme, le patriarcat et les autres oppressions sont multiformes. Elles se mènent sur de nombreux fronts. La résistance aux normes corporelles participe au changement. Tout comme la propagation de représentations qui ne sont pas imposé-e-s et forgé-e-s par les dominant-e-s ! Le changement ne se réduit pas à ces axes. Et surtout, rien n’est gagné.