Coincée entre la Mort, le Diable, l’Arcane de la Tempérance constitue autant un répit bienvenu qu’un miroir aux alouettes.
Il y a 3 ans, j’ai failli me faire tatouer l’ange de la Tempérance de Niki de Saint-Phalle sur le bras. Ce rappel d’un équilibre précaire aurait enchanté mes bras striés de cicatrices. Je pensais à toutes les années que j’avais passées tiraillée entre euphorie et dépression. Je songeais à l’alchimie des larmes que j’avais versées pendant plusieurs mois en trouvant un peu d’équilibre : la joie d’avoir survécu, le soulagement de vivre -enfin- et non plus de m’accrocher à une vie que je souhaitais quitter. Les mêmes larmes de joie quelques années plus tard dans l’extase de la rencontre de Rose. La Tempérance signifiait tout ça.
Elle a mauvaise presse, la Tempérance, trop posée, trop apaisée, trop simple. A 27 ans, je pleurais avec la Tempérance, acclamant le nouveau jour qui se levait. Le club des 27 ne serait pas pour moi. Après 15 ans de pensées ou d’actes suicidaires, je me révélais à moi-même. Alors, trop apaisée, franchement, pourquoi pas ? Elle n’est pas très rock’n’roll, la Tempérance, mais c’était le juste rappel que la vie ne tient qu’à un fil. Le rappel qu’il est compliqué de se trouver, de respirer en harmonie avec soi-même. Pour certain-e-s d’entre nous en tout cas.
Après mon (salvateur !) retour de Saturne en Scorpion, signe de la carte de la Mort, étais-je attirée par la Tempérance, à cause du transit de Saturne en Sagittaire (le signe associé à la Tempérance, vous l’aurez compris) ? Dans ce cas, quand je prenais contact avec lae tatoueurse, l’arrivée de l’austère planète dans son domicile, en capricorne, 2 mois plus tôt commençait déjà à activer les sirènes du Diable. Je n’articulais encore rien de tout ça. N’est-ce pas le propre de Saturne de prendre le temps, voire de retarder ?
Indéniablement, je portais en moi le calme de la Tempérance, la sereine certitude des cycles, une conscience accrue que la Mort, tout comme la renaissance, se joue en nous au niveau métaphorique. Je n’étais plus aspirée par mes pulsions suicidaires. Mes comportements auto-destructeurs ne prenaient plus le dessus.
Cependant, il ne s’agit pas que de Saturne. Lorsque Mars en Scorpion a cessé de s’acharner sur soi, lorsque la rage se déplace, lorsque les tyrans ne peuvent plus compter sur notre auto-torture en réponse à leurs violences, le feu destructeur semble s’échapper partout. De la carte du Scorpion, amie familière La Mort, j’avais été propulsée vers celle de Mars et de l’élément Feu, La Tour. Depuis 2015, elle grignotait du terrain sur mon monde tel que je l’avais connu. Si mon retour de Saturne avait sauté un bon nombre de mes verrous, son transit en Scorpion n’avait pas épargné mon Mars natal libérant une énergie qu’il me faudrait encore des années à cerner, à canaliser.

En mars 2018, tandis que tous ces éléments bouillaient en moi, j’ai failli me faire tatouer la Tempérance. C’était sans compter donc sur la Tour et lae Diable. Des événements dans les milieux féministes/queer/LGBTQI+ venaient de réveiller le stress post-traumatique. Depuis plusieurs semaines, mon corps s’effondrait. L’errance médicale commençait à avoir raison de ma patience. Tout s’amplifiait. On dit que le syndrome d’Ehlers-Danlos, une maladie génétique qui tarde plus ou moins à se déclarer, connaît des poussées à cause de traumatismes. Pour moi, il a suffi que quelques événements étalent des traumatismes tant bien que mal endormis dans ma mémoire traumatique. J’explosais. Le sentiment de saturation dans un domaine de ma vie ne tardait pas à en atteindre un autre. Puis encore un autre. Je brûlais. J’étais un incendie que plus rien ne pouvait arrêter. Les sphères militantes et amicales, les sphères féministes et professionnelles, la santé, la santé, la santé. Si un domaine, comme l’artistique, connaissait une expansion, c’était exclusivement pour parasiter un autre pan. Je découvrais quelque chose qui me faisait du bien ? ça invalidait alors les autres domaines dans lesquels je m’investissais.
Avec 3 ans de recul, je souris, un peu blasée, à l’idée d’avoir voulu ardemment un tatouage de la Tempérance alors que mon effondrement débutait. Le déni propre aux situations de burn-out… C’est seulement plus tard, quand on est par terre, à bout de ressources, qu’on réalise ce qui se tramait depuis des semaines, des mois, des années.
J’ai opté pour un autre tatouage. Le processus s’est avéré être un coup de couteau supplémentaire dans l’emballement traumatique : misogynie, mépris de mon état de santé,… J’ai mis du temps à m’en remettre. Je pourrais affirmer que cet événement a tout précipité si tout ce qui avait eu lieu pendant les 6 mois de 2018 n’avait pas été que précipitation.

La Tour, certes. Mais pourquoi le Diable ? Les événements, les gens, les trahisons qui me cadenassent à nouveau dans des schémas post-traumatiques que je croyais sous contrôle ? Sans doute. Aussi la colère, aussi l’incapacité de communiquer et de trouver des relais sur ce qui me tourmentait. Me/nous retrouver, encore une fois, dans une situation où la parole d’hommes prime sur celle des meufs, où la parole des puissantes prime sur celles des subordonnées, etc. Dans ce genre de dynamique, ce qui fait aussi le Diable en soi, ce sont nos réactions : se défendre, ne plus réussir à sortir des rôles qu’on nous a imposés (soit tu es victime, soit tu es folle… tu peux pas être une survivante qui s’accroche comme elle peut), ne pas se défendre, s’isoler, acceptée d’être décrédibilisée par l’handiphobie qui prend la maladie chronique pour une mise en scène, un mensonge, de l’opportunisme,…
Dans ce douloureux mélange de la Tour et du Diable, j’ai fait ce que j’ai pu. J’essaie de ne pas nourrir de regrets, ni d’amertume, ni de colère. Mais je suis loin d’incarner la Tempérance. Le passé me hante. C’est pas ce qu’on est censée dire dans un blog de tarot. Ça devrait être : tu domptes tes « ombres » ou tu n’as pas droit au chapitre. ça devrait être : tu loues la « résilience » ou tu te paies des coachs hors de prix. Mais c’est pas ça la vie. Je dis ma vie, je dis l’intime, je dis la vulnérabilité. Je me raconte des histoires aussi. Tout le monde se raconte des histoires pour garder la tête hors de l’eau, pour faire sens de ce qui arrive, pour… Parce que les récits, c’est la vie aussi.
Lae Pendue, La Mort, La Tempérance, la fin de la deuxième ligne des Arcanes Majeurs, celle de la crise, de la mort, de la remise en question.
Lae Diable, La Tour, L’Etoile, le début de la troisième ligne des Arcanes Majeurs, celle du renouveau, de la renaissance, de l’intégration.
Il n’y a pas de bonnes et de mauvaises cartes. Il y a une richesse inouïe dans chacune des 78 cartes du tarot. Toutes ave leur lot de leçons, de pièges, de soutien, de joies.
C’était encore un fouillis de réflexions sans début ni fin, sans queue ni tête, comme l’ouroboros, comme le voyage de la Folle, comme le zéro qui la symbolise. C’était un récit alambiqué, comme le tarot. Avec des fils narratifs et des éléments disparates, grâce au tarot.
Ça me parle beaucoup, ce décalage entre l’attirance très forte pour la Tempérance et une sorte d’effondrement complètement nié avant le burn out final… J’ai vécu exactement le même déni. Quand à l’errance diagnostic idem. Savoir, c’est un premier pas pour aller mieux.
Merci pour ces mots !
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Merci pour cet écho! 🙂 Effectivement, c’est peut-être l’Etoile au-dessus de la Tour: moins de deux mois après ce projet de tatouage, des membres de ma famille ont découvert le SED, une piste qui a immédiatement fait écho à mon propre vécu et qui m’a permis d’engager aussi mon chemin vers le diagnostic.
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merci pour la générosité du partage. Moi, j’aime ce qu’on est pas censée dire …
😉
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