Les féministes minces et la grossophobie


Les termes qui se terminent en -phobie sont utiles pour pointer les imaginaires de peur, mais ils passent parfois à côté de l’oppression. Étymologiquement, la grossophobie concerne tout le monde ou presque. Depuis les années 90, la panique (morale) autour de l’épidémie globale d' »obésité » nourrit cette peur à travers le monde. La grossophobie est généralisée. Bon nombre d’entre nous craignent dès leur plus jeune âge d’être gros.ses. On redoute notre gras. On s’en prend aux gros.ses autour du nous.

Pour autant, la grossophobie, en tant que reflet de l’oppression de la grosseur et de la haine systémique des gros.ses, va bien au-delà de la peur de la grosseur et de l’intégration de normes de beauté, de santé supposée, de bien-être.

La grossophobie tue

Parce qu’elle tue les personnes grosses. Les violences médicales tuent. Les opérations bâclées ou ratées tuent. Les diagnostics refusés à cause de notre poids tuent. L’absence de matériel médical adapté à notre corpulence tue.

Parce qu’elle nous exclue. L’inaccessibilité des transports publics et des espaces publics nous exclue.

Parce qu’elle nous détruit. L’obsession pour notre poids et pour les régimes attaque notre santé mentale, notre corps. Bein oui, alors que seulement 5% des pertes de poids se maintiennent sur le long-terme, les conséquences du yo-yo sont inévitables pour 95% des humain.e.s. Si on développe des troubles alimentaires, il y a de fortes chances qu’ils ne soient pas identifiés voire qu’ils soient encouragés. La liste est longue.

Parler de grossophobie sans les grosses

Dès les années 60, le terme fatphobia réunit des personnes grosses aux États-Unis. En français, on attribue grossophobie à Anne Zamberlan en 1994. En réalité, des personnes grosses, particulièrement des lesbiennes québécoises, militent contre ce qu’elles appellent l’oppression de la grosseur depuis plus longtemps. Elles traduisent par exemple des textes fondateurs de la lutte pour la libération de la grosseur, comme le Manifeste pour la libération des personnes grosses de Judy Freespirit et Aldebaran en 1992 dans le numéro de Amazones d’hier, Lesbiennes d’aujourd’hui intitulé La Grosseur: Obsession? Oppression!

Le féminisme mince a pourtant coutume d’ignorer les personnes grosses. Le néoféminisme ou 2e vague du féminisme commence à se développer à la fin des années 60. Parmi les axes qui le préoccupent, il y a la question du corps, de l’autonomie corporelle et de l’affranchissement des normes de beauté. On commence alors à dénoncer la pression de la minceur sur « les femmes ». Ah ce grand « nous, les femmes » qui renvoyait vers les marges une bonne partie d’entre elles !

S’en suivent des ouvrages de féministes minces et blanches qui dénoncent ces pressions d’apparence et de beauté pour les femmes minces. Citons quelques exemples:
Susie Orbach en 1978 avec Fat is a Feminist Issue (traduit en français dès 1985 sous le titre « maigrir sans obsession »)
Naomi Wolf avec The Beauty Myth » en 1990 et puis 1991 pour la traduction
« Beauté fatale. Les nouveaux visages de l’aliénation féminine » de Mona Chollet en 2012. Si vous faites partie des inconditionnel.le.s de cette dernière, je vous en prie, amusez-vous à chercher les références au poids et aux régimes chez Chollet puis celles aux personnes grosses! 
C’est pas comme si des féministes minorisées ne continuaient pas à s’organiser ni à publier elles aussi. Mais elles étaient aux marges du Féminisme avec un grand F. Il aura fallu attendre des années pour qu’on rétablisse l’histoire et les paroles des féministes noires.

Les personnes grosses

Je ne nie pas que le climat grossophobe affecte tout le monde. Je ne nie pas qu’il provoque beaucoup de souffrance, peu importe notre corpulence. Je sais que certaines personnes disent: oui, mais les concerné.e.s. Mais on est tou.te.s concerné.e.s. On l’est d’autant plus qu’il s’agit d’une oppression dépeinte comme relevant de la responsabilité individuelle. Dans ce monde néolibéral, il est quasiment impossible de ne pas en ressentir les effets: lutter contre la grosseur, c’est prouvé notre place dans le monde.

Par contre, je m’insurge quand on nie la spécificité de la grossophobie et de l’oppression de la minceur quand elle touche les personnes grosses. Je m’insurge parce que tous les mois de janvier des féministes viennent faire leur petite campagne contre la pression à la perte de poids tout en dénigrant les gros.ses. Je m’insurge contre leur positivité toxique. Je m’insurge quand on refuse encore de voir ou de mentionner la violence systémique qu’est la haine des gros.ses:

Les discriminations à l’embauche et les moindres revenus des personnes grosses, 

les violences médicales, 
le harcèlement (scolaire), 
l’inaccessibilité des lieux, du matériel, de vêtements, d’orthèses (jusqu’à un certain poids, à moins de pouvoir débourser des sommes mirobolantes, au-delà, tout simplement le néant)

La liste ne s’arrête pas là. 

Je m’insurge que ces violences systémiques ne soient pas reconnues dans leur complexité. Elles touchent très différemment selon notre grosseur. Plus on est gros.ses, plus elle est marquée. Elles ne sont pas isolées des autres violences systémiques. Elles s’appliquent différemment en fonction des rapports de classe, du racisme, du validisme, de la transphobie, etc. 

J’ai même la flemme d’écrire une conclusion à cet article. J’avais juste envie de ramener un tout petit peu de contexte… C’est tout. Y a pas de chute à ça.

3 réflexions sur « Les féministes minces et la grossophobie »

  1. Bonjour, un article puissant et triste reflet d’une réalité omniprésente ! J’ai connue la discrimination due a la grossophobie, depuis mon adolescence jusqu’à il y’ a encore 6 ans ou je faisais 36 kilos de plus qu’aujourd’hui. J’ai perdue ce poids par ce que je l’avais choisie (Sport et alimentation.) Un déclic un matin, sans pour autant souhaiter que le reste de la population réponde au même besoin que moi. Pour autant mon mental n’a pas suivi, je me vois toujours avec ces 36 kilos de plus. Heureusement que j’étais calée en psychologie et que j’ai sue m’arrêter au poids que j’avais décidée et non a l’image que je crois voir dans le miroir, sinon j’aurais pue tomber dans un mauvais engrenage ! Je dois régulièrement monter sur cette fichue balance pour prendre conscience de mon poids et ne pas succomber a l’envie de me restreindre a nouveau. J’évite aussi de me qualifier de ronde (J’ai du mal avec le mot grosse, je le trouve insultant tout en sachant que c’est juste ce que la société en a fait, car ce n’est qu’un adjectif neutre a la base.), car je risquerais de blesser les autres vu que de par mon poids c’est une évidence que je ne peux plus prétendre l’être. (Enfin sauf pour certaines personnes pour qui le mince c’est du 34/36 ! En vrai ces mots ne veulent rien dire et sont a l’appréciation de chacun.) Je connais le nom de mon « trouble », peut être ne disparaitra t’il jamais, mais je sais qu’il est le produit d’une société malade. Je ne fais pas partie des 5 % qui subie l’effet yoyo, mais je le dois a la musculation qui consomme une quantité assez dingue de calories, sans quoi probable que moi aussi je serais entrée dans cet engrenage et vu l’image que j’ai de mon corps, cela aurait pue être dramatique ! La société, les magasines, les injonctions aux enfants dés le plus jeune age ont leurs part de responsabilité la dedans, mais nous aussi, car souvent nous adoptons une norme créer par la majorité et nous ne nous posons même pas la question de si c’est juste ou non. Je commence a m’éparpiller et il y’aurait encore tant a dire, je vais dont, comme toi, m’abstenir de conclure et m’en m’en tenir la ! Merci pour cet article et belle journée. 😉

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