1. Analyse
L’enseignante
La Hiérophante est une carte de savoir, de croyances et de transmission. Son association au Taureau indique le souci de la conservation, de la protection et de la continuité dans ces domaines. A l’inverse, la carte qui suit, les Amoureuxses, avec le signe des Gémeaux, correspond à plus d’émancipation et d’innovation quand elle traite de ces questions.
Mais avant l’envol des Amoureuxses, la Hiérophante invite à prendre le temps. Elle stabilise notre rapport à nos processus d’apprentissage. Elle instaure un cadre dans lequel les comprendre.
Ainsi, elle représente notre rapport à nos aîné.es et à nos ancêtres. Et ce, dans des champs allant de nos convictions politiques, spirituelles ou philosophiques à nos compétences techniques en passant par les (éco)systèmes dans lesquels on s’inscrit.

La Hiérophante est l’archiviste. En sa compagnie, impossible de faire fi de nos origines, qu’elles soient mythiques, symboliques ou inscrites dans des arbres généalogiques. Elle est l’historienne qui consigne ces informations puis les analyse. Dans les tapisseries dont les fils nous ont fait.es et défait.es, quelle est notre place? Qu’est-ce qu’on revendique dans nos racines? Comment gravite-on dans nos constellations? De quoi se détache-t-on? Qu’est-ce qui nous dérange? De quoi ou de qui faisons-nous ouvertement scission? Quels travaux nous ont inspiré.es? Quel.les profs nous ont autant influencé.es que déçu.es? L’Hiérophante est la thérapeute qui offre un espace pour les ambiguïtés. Avec cette carte, on cartographie nos réseaux. Elle est notre position parmi eux. Elle est l’ensemble des chemins entre les différentes composantes. Elle représente nos perspectives d’évolution, collectivement et personnellement. En ça, elle est l’ensemble des positions au sein du réseau, qu’elles soient passées, existantes ou potentielles.
La liberté d’apprentissage
Parce que chaque carte brille sur un spectre, elle est aussi tout ce qui nous garde figé.e, comme le signe du Taureau qui s’applique à conserver. Elle symbolise les moments où l’on remet à d’autres les clés de nos connaissances, où l’on apprend scolairement sans questionner la matière enseignée. De là, elle évoque également notre rapport aux institutions, aux écoles de pensée, aux religions, aux entreprises. Elle constate que les réseaux sont aussi les biopolitiques, nos corps comme lieu de rencontre des savoirs/pouvoirs, nos corps marqués, nos corps récalcitrants et nos corps obtempérant.
Complexe, elle n’oppose pas la soumission à la révolution. Elle crée des passages, des failles dans ces systèmes qu’elle peut aussi incarner. Elle nous rappelle qu’il n’y a pas de dehors aux systèmes et cela ne veut pas dire que tout est couru d’avance, perdu, condamné. Elle questionne notre puissance d’agir par rapport aux pouvoirs. Est-ce qu’on s’écrase? Est-ce qu’on résiste? Est-ce qu’on s’échappe? En tout cas, avec elle, nous n’inventons pas. Nous existons dans le collectif. Les récits s’entremêlent. Les connaissances se tissent. On apporte nos pierres à l’édifice et/ou nos pavés dans les barricades et/ou nos résidus au compost.

Parce qu’elle est l’atout numéroté 5, La Hiérophante se réverbère dans les 5 des suites, cartes de crise par excellence. Crises de foi. Débusquer les théories du complot. Bousiller les dogmes. Rébellion face aux autorités. Tourment lorsque l’autorité s’immisce malgré soi dans nos dynamiques collectives. Abus de pouvoir. Désabusé.e face au pouvoir. Réclamer sa puissance personnelle et/ou en tant que groupe minorisé. Décoloniser les savoirs. Reprendre le contrôle de ses récits. Faire face aux retours de bâton suivant des droits chèrement acquis. Ne pas se contenter de l’égalité juridique. Ni d’un washing stratégique. Déloger l’oppression intériorisée. S’acharner. Se battre.
Parce qu’elle est l’atout numéro 5, La Hiérophante célèbre la constance du chaos. La constance du changement. Et les mycéliums de la continuité.
2. Un message
dédié aux haies, prairies et étangs du Rouge-Cloître qui ont rencontré lae Hiérophante pour inspirer ce texte, peut-être se souviennent-ils des temps qui ont précédé l’instauration d’un prieuré, des temps où les prés étaient la Forêt et les étangs, les ruisseaux qui les traversent encore.

Bienvenue dans la danse de Lae Hiérophante! Avec moi, avec nous, ensemble, traçons le cercle, reconnaissons le caractère sacré de cet endroit, amplifions-le.
La forme de ce sanctuaire, le cercle sacré, le magnifie. Mais tout lieu peut être ainsi chargé, par essence ou par volonté: mon corps, un corpus, une partie de moi, un espace virtuel ou méditatif, un lieu historique, un bois, une source, des roches, un carrefour.
Je suis la gardienne, temporaire ou définitive, de plusieurs de ces temples. Nous le sommes toustes. L’intentionnalité fabrique le sacré. (Se) remarquer fabrique le sacré. La réciprocité fabrique le sacré.
Ce sacré ne s’oppose nullement au banal, à l’impur, au pollué.
Au contraire!
Il est les Communs. Ce sacré n’existe pas pour séparer, pour distinguer, pour encourager l’élitisme. On ne peut pas s’en servir afin de marquer chasse gardée. On ne peut pas abolir les Communs.
Ils existent.
Je suis la gardienne inhérente à chacun de ces lieux. Je n’en suis pas le dehors. Je suis la protectrice immanente. La résilience en toute chose. Je n’ai besoin d’aucun.e sauveurse.
Je suis Les Communs. L’inaliénable partage. Je suis le refus de l’appropriation ainsi que l’affirmation de l’interdépendance.
On ne se sert pas des Communs. On y contribue. On écoute. On est au service d’un tout, chaque partie aussi indispensable que les autres.
On écoute : les Communs incluent le non-humain. On se décentre quand on est humain.e. Ainsi on apprend sans cesse à demander: est-ce que cette plante veut être cueillie ? Qu’en dit l’abeille ? On ne présume pas des réponses. Les humain.es tendent à vouloir sauver ce qu’iels s’évertuent à détruire. La résilience les dépasse souvent.
On écoute : est-ce que ces fleurs viendront nourrir les humain.es ou deviendront-elles des baies pour les oiseaux à l’automne ? Il n’y a ni bonne ni mauvaise réponse. Les Communs évoluent.
Les Communs poussent dans les interactions.
On ne possède pas dans les Communs. On tisse. On converse. On diffuse. Tout mot est aussi indispensable que les autres. Il n’y a pas de contribution insignifiante. Pas plus qu’il n’y a de contribution dominante.
Je suis Lae Hiérophante. Je suis collective. Je suis le partage. Je n’impose pas le consensus. Je suis l’apprentissage sans fin. J’encourage la circulation.
Qu’on se nourrisse mutuellement, chaque partie aussi importante que les autres.
Je suis la communauté. Bienvenue dans la danse de lae Hiérophante.

Les idées autour des Communs se sont imposées pour ce texte. Je ne suis pas familière avec le sujet. Mais j’assume l’imperfection qui s’exprime ici. Me voilà en tout cas convaincue qu’il est temps de lire l’ouvrage de Silvia Federici, Re-enchanting The World: Feminism and the Politics of the Commons, traduit en français: Réenchanter le monde: Féminisme et politique des communs.
3. Dialoguer avec les secrets de la Hiérophante
texte guidé par le coffre du Hiérophante du Tarot Ultraviolet.te

Tu cherches à assouvir ta soif de connaissances.
Elle ne peut pas être étanchée.
Tu voudrais découvrir toutes les inconnues de l’équation.
Mais ceci n’est pas un code à déchiffrer ni un mode de passe à pirater.
C’est une énigme à contempler
un mystère à chérir
un coffre à trésor scellé à enfouir
Tu n’as pas toutes les réponses.
Que fais-tu lorsque tu n’as pas toutes les réponses?
Ta frustration est une invitation:
Quelles clés peux-tu transmettre? Car tu peux transmettre même sans ouvrir la boîte du savoir absolu.
Qu’as-tu à cœur de protéger? Quelle est le terrain à défendre menacé? Quels risques prendras-tu pour ces espaces dont tu connais la valeur?
Ta frustration est une invitation:
Qu’étudies-tu comme un objet inerte? Peux-tu le laisser réclamer sa vie, sa voix, son autonomie? Peux-tu prendre le risque de l’échange? Peux-tu laisser opérer la magie de l’enchantement? Crains-tu d’être transformé.e si tu abandonnes ta position de supériorité dans l’étude ou dans la recherche?
Peux-tu accepter que ce que tu transmets est susceptible d’être déformé, contesté ou invalidé? Peux-tu accorder assez de valeur à ce que tu transmets pour accepter ensuite que ces contenus soient malmenés? Peux-tu faire preuve d’humilité à l’égard de “la vérité”?
Quel est le statut de tes transmissions?

A confier au coffre:
Qu’est-ce qui te fait te sentir en sécurité lorsque tu partages? Comment te ménager des espaces safes à garder fermés, inaccessibles sur internet?
4. Incarner Le Hiérophante: C’est toi, la clé!
Texte légèrement remanié, publié initialement le 26 avril 2021
Tous les savoirs, tous les livres, toutes les traditions occultes ne valent rien si tu ne peux pas t’approprier la matière.
Je comprends l’insistance sur la rigueur et sur le temps de l’étude. Sauf que ça revient souvent à nous couper de nos propres savoirs. Cela musèle nos manières de communiquer. Cela stérilise notre recherche d’informations. Ça nous prive d’originalité. Ça nous coupe de l’expérience de nos sens, y compris de notre intuition. Ça fait des barrages. Ou des barricades qui nous emprisonnent. Quand on brandit l’importance de la tradition, on réveille nos tendances dogmatiques, nos habitudes à s’en remettre à des maîtres.ses, et le spectre de l’emprise qui nous attend au tournant dès qu’on renonce à la souveraineté de nos parcours d’apprentissage.

On me dit souvent que je « décomplexe le tarot ». Qu’est-ce que ça veut dire? Sans doute une référence à la pression autour de l’apprentissage du tarot, dans les milieux francophones en particulier: il faudrait bien connaître toutes les cartes avant de pouvoir les tirer, il faudrait les craindre, les vénérer, arriver avec la déférence qui serait due à cet outil « ancestral ». Même si la multiplication des sources a heureusement ( !) brouillé ce « gatekeeping » du tarot (c’est-à-dire le gardiennage élitiste et le contrôle à l’entrée de la discipline), beaucoup d’entre nous intègrent ces peurs. On ne se sent pas à la hauteur. On a besoin qu’on nous dise comment faire. On pense qu’il y a celleux qui savent et les autres. On oublie les échanges et les interactions. On culpabilise.
Bien sûr que les traditions comptent! Mais oui les mentors comptent aussi! Cependant au milieu de toutes ces injonctions, on en vient à oublier que ce qui compte c’est TOI. Tu es ta-ton Hiérophante. Tu détiens les clés pour accéder aux savoirs (et pas uniquement en ouvrant des livres!). Ces clés qui apparaissent fréquemment sur la carte, personne ne peut te les reprendre. Même si on t’a fait comprendre toute ta vie que tu ne pouvais pas faire confiance à ton intuition ni à ta façon d’apprendre ni à tes rêves, on ne t’a pas enlevé les clés. Elles sont encore là, dans une de tes poches. Et puis, allons plus loin et révélons un secret beaucoup trop bien gardé: tu es la clé.

Il ne devrait pas être question de chasse gardée par des élites. Il y a les terrains communs où tes ancêtres cueillaient les plantes pour les repas et pour les remèdes. Les connaissances sont partout. De toutes les initiations qu’on te proposera pour accéder à des savoirs spirituels ou autres, une seule est fondamentale: celle qui te rappelle que tu n’as besoin de personne pour te passer les clés.
Ne laisse personne te couper de tes connaissances ni de ton cheminement d’apprentissage. Chemine vers ce que tu sais déjà. En attendant de t’envoler vers ce que tu ne sais pas encore avec Les Amoureuxses. Accueille les mentors sous toutes leurs formes, y compris non-humaines, tant que ces enseignant.es n’exigent pas de toi de renier ta puissance, ta position dans les réseaux de connaissances, dans les constellations d’ancêtres, dans un monde enchanté où tu as ta place au milieu de ce qui t’entoure. Pas une place prépondérante. Mais pas non plus une place où tu dois te gaver de savoirs sans jamais pouvoir les critiquer, te les approprier, les ressentir dans ton corps.
L’Hiérophante du tarot Smith-Waite fait référence aux prêtres d’Eleusis, lieu de culte à Déméter et Perséphone. Iels assuraient la transmission des mystères de la vie et de la mort. Etymologiquement, cette fonction rassemble le sacré et la découverte. A-t-on besoin d’un.e prêtre.sse pour qu’opère cette rencontre? Dans certains jeux, les mystai, les initié.es s’agenouillent devant l’Hiérophante, garant du secret des Mystères d’Eleusis. Et toi, que fais-tu?
Quelles processions se déroulent en toi et autour de toi dans la découverte du sacré, des mystères, de la renaissance? Quelles parties de toi guident et lesquelles reçoivent? Dans quels domaines te formes-tu et dans lesquels accumules-tu beaucoup de connaissances? Transmets-tu ces connaissances? Considères-tu tes connaissances comme dignes d’être communiquées, valables, intéressantes ? Que ressens-tu quand on dévalorise tes savoirs ? Quand tu les dénigres? Cloisonnes-tu tes savoirs ou les laisses-tu se faufiler entre divers domaines? Laisses-tu d’autres personnes t’indiquer l’unique voie à emprunter? Te tournes-tu vers des sources de connaissances qui t’orientent vers des chemins divers parmi lesquels tu pourras choisir celui qui te convient le mieux?
Avec ton rôle de Hiérophante viennent des responsabilités vis-à-vis des clés.

Inspirée par le journalling sur La hiérophante dans le cours Heart of Service de Lindsay Mack.
A mes côtés sur ces chemins: Hekate Kleidouchos, porteuse de clés
Lecture du moment: Key-bearers of Greek Temples: The Temple Key as a Symbol of Priestly Authority



