Dimanche, pleine lune en lion. Prétexte pour faire la lecture de mon dernier texte sur La Force et le partager en vidéo. Toujours sympa pour les personnes qui, comme moi, préfèrent écouter que lire. Ou ne peuvent pas faire autrement. Puis, c’est une direction que j’aimerais donner à ma chaîne YouTube. Qu’elle mette en valeur mes textes poétiques. Qu’elle soit plus orientée sur la divination comme art et moins sur les vidéos qui marchent mieux, genre les revues de jeux et autres top 10.
Il fait gris. J’ai un œdème à la joue après une intervention d’endodontie. J’oscille entre la peur d’un retour de l’abcès et le fatalisme: avec les tissus fragiles du SED, on ne peut pas paniquer dès que le corps réagit bizarrement. Je laisse vagabonder mes pensées pour éviter qu’elles fassent des boucles. Un ciel si gris. Même si j’ai filmé une lecture matinale de La Force, c’est Le Soleil qui me revient sans cesse à l’esprit. Pas en boucle, pour le coup. En éclats.
Je cède à l’appel du pied de la carte. Elle entre en dialogue avec Le Jugement, la carte 20, l’atout suivant, que j’avais tirée plus tôt encore. Je saisis les notes qui me viennent.
Et je les recopie ici en les altérant à peine (faute d’énergie). Brutes. Faillibles.
De La Force au Soleil… Vers le Jugement.
Passer de la carte du Lion, la Force, à celle du luminaire à demeure chez le Lion, Le Soleil.
Divergences: Le Soleil relie tandis que La Force est concentrée plus sur elle-même que sur ses liens avec d’autres.
Intrépide, La Force s’aventure dans les profondeurs, auprès de ce qui est caché. Elle va chercher les peurs pour les accompagner. Elle côtoie la “nature” sauvage. C’est à force d’efforts et de pratique qu’elle parvient à rester sereine.
Le Soleil se pose en pleine lumière. Rien à cacher. Il expose. Il libère. Il respire l’air frais sans effort. Il ne problématise pas. Il assume. Sans artifices, sans parures, sans masque, il se montre. Sa voix est limpide. Elle porte. Il est capable d’exprimer clairement ce qu’il veut et pourquoi. Il a quelque chose à affirmer. Comme une vérité (aussi fugace soit-elle). Un énoncé qui a besoin de rayonner. Un corps qui s’étire.
Le Soleil. Un rapport à l’espace. Un désir d’être pleinement, déconfinée, dans un espace investi ressenti.
Jeux d’ombres et lumière
Derrière cette facette visible voire surexposée du Soleil, il y a aussi toutes les ambiguïtés des grands mots qu’il affiche:
s’affirmer, la vérité, prendre de l’espace, s’assumer
Ou leur revers. Prétendre figer des choses en mutation. Prétendre que l’individu est roi.
Le tarot me transperce le cœur. Cet outil m’est indispensable. Il m’aide à être pleinement présente. Avec lui, je déjoue mes pièges. Je cherche à ajuster. Avec lui, je suis dans le néant. Je me pose aux croisements quand rien n’est clair. J’emprunte des chemins quand la brume se dissipe. Je me transforme. Avec lui, je vois par-delà la poudre aux yeux. Je ne m’arrête pas aux apparences. Je suspends la rationalité cartésienne, une idéologie au service des systèmes capitalistes, racistes et sexistes. J’épouse une logique enracinée, encorporée, connectée, qui me paraît ancestrale. Je me raconte peut-être des histoires… Je raconte indubitablement des histoires avec le tarot, en réalité. C’est un compagnon conteur.
Du doute, des liens
Avec lui, je refuse d’avoir réponse à tout. Je renonce aux explications indémontables. J’observe les transformations. Je renonce à posséder et à hiérarchiser. Je m’ouvre aux conversations. Mon regard sur le monde change. Le champ de ma perception s’élargit. Les détails deviennent d’incontournables pièces au puzzle. Plus rien n’est insignifiant. Les signes foisonnent. Mes récits se reconfigurent. La vision d’ensemble porte plus loin. Elle englobe davantage. Les compréhensions se multiplient.
En compagnie du tarot, les ponts se créent. Ils se déplacent et modifient les destinations en chemin à la façon des escaliers de Poudlard. Ils se co-construisent. Les ponts se créent. Je me dévoile à moi-même, autant que les facettes d’un monde que je croyais jusque-là désenchanté. Les aller-retour entre mon être et le monde sont féconds. Ils nourrissent un courant. Le tarot se ressent au confluent de sources inépuisables. Est-ce mon intuition? Est-ce un message divin ou ancestral? Est-ce le lieu qui parle? Des sources inextricables les unes des autres. En grande partie insondables.
Langage et clivages. Tarologie vs taromancie?
Le tarot m’apporte des images et un langage auxquels je contribue en retour. En écrivant. En créant. En partageant. A chaque lecture – pour moi, pour d’autres ou plus-qu’humaines. Le tarot existe et grandit parce que nous le remplissons. Nous le nourrissons autant qu’il nous nourrit. Nous étendons l’éventail de ses significations. Nous substituons nos expériences à celles qui nous excluent du discours du et sur le tarot.
Le tarot est un langage. Ses interprétations sont infinies. Ce n’est pas une science. Le logos l’épuiserait si je m’y arrêtais. La tarologie, l’étude et l’analyse du tarot, ne forme donc qu’un aspect, en dialogue constant avec la taromancie. Dans ce domaine, les mots ne suffisent pas, à part peut-être quand ils s’agencent sous forme poétique.
La divination par le tarot est incernable. Rigueur et méthodologie la soutiennent. Ce sont des fondations qui se passent de murs. Elles ne peuvent enfermer la pratique. Il faut laisser de la place pour l’enchantement aussi mystérieux qu’il paraisse. En tant qu’humaine, je suis en effet dépourvue d’un langage complexe pour dire les courants du tarot. Il nous faut des mythes pour tenter d’expliquer la complexité de l’ “Invisible” (encore un mot réducteur). Ceulles qui s’essaient à le rationaliser échouent, imbu.e.s de leur humanité. Je vous raconte ma relation au tarot en un mélange de mythes, de poésie et d’images. Imparfaitement retranscrite, elle participe aux flux de transmission autour et avec le tarot..
Avec des figures comme La Grande Prêtresse, le tarot m’enseigne aussi la vacuité des dichotomies comme systèmes explicatifs. Aucun mur ne s’érige non plus entre la tarologie et la taromancie.
A nouveau, reformuler, tenter d’approcher, tournoyer, mélanger.
Le tarot est un art
Je ne peux que convenir qu’un jeu de tarot est un outil. Je ne peux pas m’en contenter cependant car c’est une définition ad minima. Elle ne heurtera personne. Inclusive, elle invite les récalcitrant.e.s. Mais il faut dépasser le constat. Il faut tester l’instrument. Il faut répondre à son appel. Ou bien initier la relation.
De là, le tarot est avant tout un art et, par extension, un portail. Sa pratique est mouvante. Multiple. En expansion. Dans le même mouvement qui nous ramène au présent, en ce lieu, à nos corporalité, il se déploie. Il ramène. Il essaime. Il rassemble. Il emmène.
En tant qu’art, il s’appuie sur l’expérience, sur des dosages et sur des réajustements. Il se développe à mesure que nous co-créons. Rien ne peut le contenir (même s’il peut jouer le rôle de récipient et contenir ce que nous lui confions).
La curiosité meut l’artiste. La créativité constitue un de ses meilleurs atouts. Le tarot est un imaginaire. Une praxis. Une fabrication. C’est la magie telle qu’elle se vit. Le tarot ne m’intéresse pas sans sa magie. Sans son pouvoir d’ouvrir et celui de contenir, il n’est rien pour moi. S’il n’est pas un portail, pourquoi existerait-il?
Ici, en vidéos et ailleurs, je veux vous transmettre la magie dont je fais l’expérience grâce au tarot. Je n’ai cependant pas l’intention de rebuter les personnes qui ne partagent pas cette conception. J’incorpore les paillettes magiques et les murmures des “autres mondes”. Je saupoudre les merveilles que le portail m’offre de ressentir. Il n’est pas nécessaire d’y goûter ni d’y adhérer. Vous pouvez rester sur le seuil et observer. Je n’impose aucune vision du tarot. Mon objectif serait plutôt de vous inspirer pour développer la vôtre en relationnant avec les cartes.
Mon tarot, votre tarot, notre tarot
Puisque rien n’est figé, je vous invite à prendre note de votre vision du tarot aujourd’hui. Si vous êtes coutumier.e de cet exercice, pourquoi ne pas plonger dans vos archives? Et, surtout, n’oubliez pas d’y revenir. Quel ravissement de prendre la mesure du chemin parcouru avec le tarot ! Quand je relis mes notes de 7 ans déjà, je réalise que l’art du tarot m’a changée. Je fais le vœu que cela continue. Pour moi, comme pour vous.
Il n’y aucune recette. Aucune ligne d’arrivée. Il y a de la transformation. Assurément. De la co-création. En ce compris avec le tarot. Comme nous, il est en perpétuel évolution. Témoin et parfois reflet de son temps, des normes, des pouvoirs en place. Témoin et parfois reflet des existences marginalisées. J’écris avec lui depuis mes marges. J’écris pour vous et pour votre anormalité. J’écris parce que le tarot est votre outil, votre art, votre portail.
Je ne sais plus comment être sur les réseaux sociaux. Les lanceur-ses d’alerte confirment que le groupe facebook est encore plus violent que tout ce qu’on savait déjà.
Il ne s’agit plus seulement de ne pas alimenter cet égrégore qui retire le pire de nous-mêmes. Il en va de la lutte contre la montée du fascisme, dans laquelle l’entreprise joue un rôle affolant. Bien sûr, il en va de l’exploitation et de la sécurité des données. Tout ça et plus encore. Chaque jour davantage. Plus de dossiers, de manipulation, de morts.
La nausée. Au-delà du malaise, cette question persistante: que me dit mon intégrité? Je connais la réponse. Tu la connais sans doute aussi. Mais il y a cette illusion bien entretenue que nos existences dépendent de notre présence ici. Une dépendance construite année après année. Biopolitiques. Et de l’impossible subsistance en capitalisme pourrissant.
On se décompose. Je le ressens comme ça. C’est dur à accepter. Et l’indispensable rêve de régénération en capitalisme pourrissant.
Malaise. Comment se révolter? Pas ici. Pas là où l’indignation nourrit la matrice nourrit les complotismes nourrit le fascisme nourrit toutes les haines. Dont celle de soi. Compensée par une chimérique rédemption que nous offrirait instagram: poster plus, acheter plus, se comparer encore, s’assimiler mieux, encore, encore.
J’ai la révolte facile. Je ne sais plus comment exister ici. Les rouages de la machine ne m’épargnent pas. Même si je les observe depuis longtemps. Je suis dedans. Il n’y a pas d’extérieur au capitalisme.
Derrière ce que me dit mon intégrité, il y a aussi le dedans de ce qui est ici. Les comments et pourquois. Le timing et les alternatives. Et toi et toi.
J’ai décidé de ne pas trancher dans l’immédiat. L’immédiateté, un autre produit néolibéral. Je peux décider de me distancer de la notion d’urgence. La lenteur est résistance.
Nos sens savent. Nos sens comprennent. Nos communautés (se) soutiennent. Autour de nous, les vies fourmillent sous diverses formes. Plus encore : les plantes, les pierres, les ancêtres, les déités, tout cela s’exprime, accueille, rage, attire, rejette. On va à la rencontre de ce fourmillement. De la beauté comme de la monstruosité. On suit nos sens, en ce compris ceux qu’on n’a pas appris à utiliser. On croit nos frissonnements.
L’Invisible a été mis au ban de nos sociétés rationnalisées, capitalistes, vidées. On renoue. On le valorise. On (re)trace des cosmologies dont l’humain-e n’est pas au centre. On observe les schémas et on les respecte. Tout comme là-haut, aussi ici-bas. Tout comme en nous, aussi au dehors. Nos pratiques oraculaires consistent à mettre en lien. Les résonnances emplissent notre vision du monde.
Loving a tarot deck that I’m not supposed to love! What should I do?
This review is English. Pour des considérations similaires en français + une revue des aspects techniques, regarde ma vidéo de déballage du White Numen Tarot (qui existe en version française sous le nom Tarot des Divinités).
April 2021
Dear diary, I am conflicted today. After watching an unboxing ofThe White Numen Tarot, I feel drawn towards its energy. Something primal, animist and Hekatean grabbed me. Should I accept my feelings or listen to my brain?
June 2021
Here I am, holding the deck in my hands, charmed, mesmerized and a bit overwhelmed by how good it is at delivering messages. The White Numen called. I answered. Something is happening between us.
Yet, I can’t leave aside my reservations. It’s not that I enjoy nit-picking on any specific deck! It’s a broader issue! No matter how actively the tarot community engages in diversity and representation, it keeps pushing some people towards the margins.
The pathologisation of fat people is rampant. It is probably the main reason why most creators and publishers refuse to offer representation to us (and from us!). I can’t accept it though. Half of the population in my country isn’t thin! Why would they invisibilize us?
In June, everybody (especially companies) seemed to « celebrate » (not fight for though) queerness, including in the tarot industry. This wouldn’t have been possible 50 years ago. Queerness was then considered an illness, something to cure, something illegal, something to erase from our society. All of which sadly still exists. But so much has changed with regards to mainstream representation! Why is it so difficult for a similar shift to occur in the way we depict, understand and celebrate fatness?
Quand j’ai commencé cet article il y a quelques mois, j’avais envie d’un texte trop parfaitement bien étayé : des tonnes de sources, des vérifications approfondies, etc. Comme toujours, les aléas de ma santé en décident autrement. L’article ci-dessous se révèle plus brut. Il est beaucoup plus court. Comme un chantier sur lequel je reviendrai, plutôt qu’un long essai super élaboré. Le temps de la réflexion permettant à l’agacement de décanter, le projet s’est redessiné. J’ai peu retravaillé mon argumentaire. Il est plus « rond » que l’idée que j’en avais à la base.
Le Daughters of the Moon Tarot, un tarot féministe rond pionnier publié en 1984, m’a inspirée des réflexions plus libres. Après avoir créé une vidéo de présentation dans laquelle j’articule certains arguments de ce texte, j’y suis revenue, j’en ai arrondi les angles, j’ai accepté qu’il ne serait pas ce que j’avais l’ambition de partager initialement. Il est cependant un complément à la vidéo.
Sorcières et féministes, le grand écart ?
J’ai constaté un usage généralement péjoratif de « la sorcière féministe ». On la considère comme un épouvantail. Dénigrée, elle ne serait
ni un-e sorcière aux yeux des un-e-s. En effet, sa posture serait exclusivement théorique/politique tandis que seules les pratiques feraient la sorcière.
ni un-e féministe aux yeux des autres. Soit parce qu’yel aurait succombé à un phénomène de mode soit parce que le féminisme se voudrait rationaliste, anti-religions, etc.
Cette incompréhension dérive des multiples significations tant de « sorcière » que de « féministe ». Des féministes ont beau clamer depuis des décennies qu’il n’y a pas un mais des féminismes, l’anti-féminisme est tel que des collisions cognitives semblent vouées à se produire dès que quelqu’un-e s’en réclame. L’histoire de chacun de ces termes est bien plus complexe que les émois qu’ils provoquent.
Comment en vient-on à prétendre que les féministes auraient volé ou souillé une sorcellerie prétendument intemporelle alors même qu’elles ont cherché à l’historiciser (d’un point de vue purement académique ou d’un point de vue pratique) ? Comment utilise-t-n des arguments anti-capitalistes pour nier toutes les pratiques de sorcellerie qui ont existé et qui existent encore ? Pourquoi certaines féministes sont-elles aussi réticentes à intégrer les liens, qu’elles ont passé des décennies à déconstruire, entre femmes et nature ? Une fois pelées les couches de construction sociale autour des « sorcières », des « femmes, du « genre », de la « féminité », faut-il tout jeter au compost ou peut-on goûter le zeste et reconstruire ou se réapproprier (reclaim) des éléments ?
Féminismes des années 70
Pour mieux comprendre pourquoi on agite à tort le spectre de « la sorcière féministe », il faut remonter aux années 60 et 70. Se déroulent alors parallèlement deux mouvements (dont je me garderai bien d’affirmer qu’ils n’étaient pas joints par de nombreux ponts).
Ça fait des mois que la question est sur tous les claviers : pourquoi ne revient-on pas aux blogs ? On a grand besoin d’un slow internet. La plupart des initiatives tiennent à des individu-e-s.
Je sais pourquoi instagram a profité à mon quotidien de malade chronique. J’aime l’immédiateté de l’écriture. J’aime l’énergie du premier jet. J’aime partager des instants de vie, pris sur le vif, car ce sont eux qui m’inspirent. La praticabilité a rencontré la nécessité avec le Syndrome d’Ehlers-Danlos. Le téléphone exige moins du corps que l’ordinateur. L’instantanéité rencontre un stock de cuillères chutant drastiquement et aléatoirement en cours de journée. D’un format qui me plaisait, le réseau social est devenu le seul qui me convenait.
Ça m’a pris des mois pour parvenir à me déconnecter définitivement de facebook en 2019. La réactivité érigée en maîtresse n’était plus compatible avec mon handicap. Le stress qu’elle génère accroit considérablement mes symptômes. Ça m’a pris du temps parce que c’est comme ça que j’ai pu désapprendre l’addiction. Avec le recul, j’ai mieux analysé l’effet de ce média, au-delà des considérations pratiques et politiques. J’ai compris que la réactivité me rongeait. J’ai compris pourquoi. J’ai compris qu’elle avait une utilité militante limitée dans mon cas. Le sevrage de facebook a fonctionné. Je n’envisage pas d’y retourner. Mais y penser ne me donne plus des sueurs froides.
Le sevrage n’a pas tout à fait fonctionné. Mon addiction à l’un glissant vers l’autre, instagram occupait le temps que je ne consacrais plus à facebook. Encore une fois, j’avais les grilles d’analyse pour appréhender les dangers des réseaux sociaux. Encore une fois, le relatif bien-être qu’il me procurait l’emportait cependant sur la réflexion. J’avais déjoué les pièges de twitter et de facebook, en particulier leurs logiques de polémique et de confrontation. Comme beaucoup, je me tournais illusoirement vers insta comme un havre de paix. On y mettait les différends de côté pour s’intéresser davantage à nos points communs. Pour moi, il ne s’agissait pas d’embrasser le règne de la positivité néolibérale, mais plutôt communiquer dans un relatif apaisement.
Est-ce que ça a changé quand l’usage des stories s’est généralisé ? A quel changement d’algorithme, la compétition nous a-t-elle fait suffoquer ? Quand la pression s’est-elle normalisée assez pour qu’on se sente isolé-e dans le mal-être dont insta se nourrit (publie pour aller mieux, achète pour compenser, scrolle hagard-e jusqu’à trouver un soupçon de sens), pour qu’on se blâme sans plus voir les ficelles ? Tout le monde ne fait pas un effort conscient pour l’engagement avec son audience, l’esthétique en vogue, la limitation du nombre de mots. Mais bon nombre d’usagèr-e-s ressent ce vide à cause du shadow-ban ou bien parce qu’on a osé publier un format qui nous plaît vraiment, ce qui ne génère ni vues ni likes.
Alors, comme avec facebook, j’ai fait des pauses. Souvent j’ai annoncé des pauses que je n’ai pas tenues. J’ai constaté que ne plus poster revenait à ne plus attendre les réactions. Ce qui, ensuite, permettait de revenir progressivement sur la plate-forme sans qu’elle soit oppressante. Mais j’ai toujours quelque chose à dire. Les jours passent, je m’affiche de plus en plus. La spirale de l’attention se remet en place.
Sur instagram, on rencontre des gens avec qui on n’aurait pas discuté autrement. Ça fait du bien quand un burn-out militant ou professionnel se referme sur nous. Facebook devient alors une nébuleuse faite de toutes les vies qu’on a muées, de toutes les personnes dont on s’est éloigné-e. Celles qui nous ont trahi-e et celles qu’on a trahies. Instagram, c’était une bulle d’air frais.
Pendant ce temps, je tâtonnais au niveau de la création de contenu ailleurs. Je m’attelais à des séries thématiques sur mon blog dès que ma santé m’accordait un répit. Toujours de courte durée, mes répits se soldent par des séries en suspens. Pourquoi pas, tant que tous ces fils tissent malgré tout une tapisserie? Les vidéos me redonnent occasionnellement mon éclat d’antan. Sinon, elles montrent comme il est difficile de créer avec constance quand on est malade. J’adore les vidéos. Dès que j’ai un peu d’énergie, je m’y mets. Il y a des gens qui croient que je suis une fausse malade parce que j’ai l’air en forme dans mes vidéos. Moi, j’aimerais que cette forme soit plus fiable que quelques trêves mensuelles. Mes vidéos sont peu vues. Je m’en fiche. J’ai l’impression d’être moins contrainte que sur instagram. Je suis heureuse de toute personne qui apprécie ces partages plus « authentiques ». Qu’est-ce que l’authenticité ? Pourquoi considère-t-on généralement l’authenticité en ligne au prisme du genre (de la misogynie et de la transphobie quoi…) et des autres rapports de pouvoir ?
Ça fait des mois que nos claviers s’activent : on a envie de formats longs, on a envie de rigueur, on a envie d’échanger sur base de critères plus profonds. Nos esprits saturent : on n’en peut plus de cette pression, comment a-t-on pu oublier à ce point les valeurs de l’échange ? Pour les gens de ma génération, nous qui étions des jeunes adultes écrivant sur des blogs dans les années 2000, la nostalgie guette. Faut dire qu’il y avait l’anonymat, l’absence de contraintes, moins de harcèlement parce qu’on formait des grappes de blogs aux préoccupations similaires et on ne perdait pas notre temps maudire les autres. Faut dire qu’il y a eu des cœurs brisés, mais aussi des amitiés qui durent depuis 15 ans. Il y a des connaissances avec qui ont échangé des colis à l’époque, puis dont on a suivi le parcours de loin pour finir par se retrouver dans les mêmes sphères « spirituelles » avec le temps (pour le coup, être voisine d’anniversaire et avoir le même ascendant, ça doit aider non ?).
Faut-il se réjouir de la multiplication de tarots abordables qui se veulent plus « inclusifs »? Les choses sont-elles en train de changer? A qui profite ce juteux business? Qui sont les laissé-e-s-pour-compte? Peut-on se passer de tarots plus représentatifs? Pistes de réponses en 2 parties.
Les conclusions de mes essaissont catégoriques : la création, la production et l’utilisation de tarots hétéronormés, blanchisés, mincis, ciscentrés, validistes sont le reflet d’un système. Elles y participent. Elles alimentent nos imaginaires, nos visions de nous-mêmes et des groupes opprimés. Lutter contre les normes implicites dans des tarots constitue un réel enjeu de société. Tout comme dans l’art, sur les écrans, dans les romans, revendiquer des représentations plus justes est un enjeu de société.
Poussant ce raisonnement, parmi les multiples facteurs à prendre en compte : le soutien (financier !) aux créateurs-rices qui travaillent dans ce sens. J’écris pour Little Red Tarot, un site britannique qui vend des tarots alternatifs en Europe. Je suis attentive aux initiatives qui passent par des campagnes de récolte de fonds ou des petites boutiques d’artistes. J’ai décidé de mettre en avant et d’acheter en priorité des tarots indépendants. Mais il devient compliqué d’y voir clair… Le capitalisme s’est engouffré dans une niche (enfin, depuis le new age, cette niche a peut-être vu le jour avec des motivations capitalistes).
Vivant tou-te-s dans un monde capitaliste, les artistes, en particulier les artistes minoritaires, doivent développer des stratégies ou faire des concessions pour vivre ou survivre. Je ne prétends pas ici que je suis une exception ou que je suis radicalement opposée aux stratégies dont dépendent notre survie et notre art. Par conséquent, la promotion prioritaire de tarots indépendants ne me mène pas à cesser de soutenir les artistes qui font le choix du mass market, qu’yels soient motivé-e-s par des raisons économiques, de visibilité, parce que ça leur permet de ne pas gérer la lourde production et la communication de leurs decks, ou toute autre motivation.
Faut-il se réjouir de la multiplication de tarots abordables qui se veulent plus « inclusifs »? Les choses sont-elles en train de changer? A qui profite ce juteux business? Qui sont les laissé-e-s-pour-compte? Peut-on se passer de tarots plus représentatifs? Pistes de réponses en 2 parties.
Représentativité dans les images ou dans les interprétations?
En ce qui concerne les représentations dans le tarot, plusieurs perspectives queers coexistent. Elles se complètent. La première accorde une importance fondamentale aux images. Les raisons invoquées varient : pour que lae consultant-e se sente représenté-e, pour retrouver quelque chose de familier qui pique notre intuition dans les images, parce que politiquement l’absence de visibilité des minorités va de pair avec leurs exclusions de multiples sphères de la société.
Une autre perspective insiste sur le rôle de la personne qui lit les cartes. En effet, rares sont les tarots dont les images génèrent une affinité totale et forment un miroir parfait des réalités de chacun-e. Il nous revient d’être responsable dans nos interprétations. Même avec un tarot qui cocherait toutes les cases du jeu inclusif de rêve qui casse grave la baraque, il arrivera de lire les cartes avec des filtres potentiellement limités du fait de notre conditionnement social et de nos impensés (privilège blanc, méconnaissance du polyamour, injonction à la sexualité et non prise en compte de l’asexualité, etc.).
D’ailleurs, comment retranscrire visuellement ou dans les corps bon nombre d’aspects de nous et de nos identités qui ne sont habituellement pas reconnues par le tarot? Elles seraient difficilement et dangereusement réductibles à des caractéristiques physiques. D’autant que le tarot peine déjà à représenter les corps « hors-normes » autrement que comme des métaphores! Tenter de les visibiliser sans recourir à des stéréotypes représente une gageure. Tout particulièrement quand les personnes non concernées s’y risquent. Handicaps, identité de genre, orientation sexuelle, classe sociale, santé mentale,… autant de facteurs qu’on ne peut pas forcément déduire d’une image.
On sait pourtant qu’ils ne sont habituellement pas reconnu dans les tarots classiques. Tout l’imaginaire du tarot est si restreint, si normé, si excluant dans sa prétendue universalité qu’on ne se leurre pas sur l’effacement de ces catégories dans la plupart des jeux. Ainsi, si les handicaps visibles sont absents ou servent exclusivement de métaphore visuelle, gageons que les handicaps invisibles ne se cachent pas implicitement derrière les images. Si tous les couples représentés sont hétéros, gageons qu’il n’y a pas de bi-e-s, lesbiennes ou gays à déceler derrière les personnages seuls.
Les modifications de l’univers visuel du tarot s’allient à celles notre langage à son sujet. On s’évertue à mettre au jour et à déjouer ses « impensés » (très réfléchis!) dès lors qu’on s’attache à le transformer et à le rendre plus représentatif, moins oppressif, moins excluant.
Je suis pas là pour les gens qui comprennent pas pourquoi les positionnements en termes d’identité n’ont pas de sens, qui voient pas les couleurs, qui trouvent cool que je sois une grosse bien dans sa peau mais qui voient pas les enjeux politiques et sociétaux du corps et du corps gros. Si dans ta life, tu as les *privilèges* qui font que tu n’as pas besoin d’étiquettes, de communauté(s) d’opprimé-e-s, de cris de ralliement, tant mieux pour toi (mais viens pas faire la leçon aux gens qui n’ont pas tes privilèges). Si tu trouves quelque chose dans mes écrits et visuels qui te fait du bien ou qui t’inspire, tant mieux et bienvenue ! Mais je suis toujours pas là pour ça.
On me remercie régulièrement pour le travail de vulgarisation, de mettre en avant des thématiques auxquelles on n’aurait pas pensé avant et tout ça. Je suis ravie si ce que je partage a de tels effets. Ça me fait plaisir de participer à élargir des espaces mentaux.
Mais ça n’était pas mon objectif en créant mon blog, alors « en chariot dans l’univers du tarot », en 2016. Ça ne l’est pas plus maintenant. Mon objectif – si j’y arrive un tout petit peu c’est déjà ça – est d’apporter quelque chose aux gens qui voient déjà tout ça, les gens pour qui ça s’inscrit dans la chair, les gens qui vivent l’exclusion au quotidien et qui pensent pas que « l’éveil spirituel » seul va changer toutes les structures matérielles de leur oppression, les gens que les outils d’émancipation laissent sur le carreau. Apporter des mots, du réconfort, de la solidarité, la certitude de ne pas être seul-e.
Grâce à nos « cases » (en vrai, nos identités multiples, fluides, fuyantes, éhontées, affirmées, désavouées) nous nous retrouvons, même si elles sont temporaires. Les revendiquer, c’est pour mieux faire péter les cases qu’on nous impose. On ne fait pas semblant que les systèmes d’oppression ne sont pas en place. On se leurre pas en prétendant qu’il suffit de les ignorer à coups de « on est tou-te-s pareil-le-s » pour les faire disparaître. Se nommer, se trouver des mots alors que les groupes dominants avaient jusqu’ici le pouvoir de nous nommer à notre place et de nous maintenir dans la case choisie pour nous, c’est faire advenir une autre réalité, c’est donner vie à nos imaginaires, nos images, nos mondes, nos alternatives (Monique Wittig forever).
J’écris depuis les marges (et avec tous mes privilèges qui me rapprochent du centre, de la norme, à commencer par être blanche, cis et être issue de la classe moyenne). J’écris depuis l’hors-norme. J’écris en tant que freak. J’écris parce que je suis en colère. J’écris parce que les gros-ses crèvent de la grossophobie. J’écris parce que j’ai perdu blindé de choses dans ma vie parce que je suis gouine. J’écris parce qu’on a besoin de nos étiquettes. Parce que si je dis pas que je suis grosse, ça reste une insulte utilisée pour nous dénigrer et que toi aussi, tu continues à te dénigrer. J’écris parce que si j’avais pas rencontré des fems trans, bies, lesbiennes, gouines (si tu penses que fems, c’est le petit nom de féministes, tu as tort, ça c’est encore le prix de notre invisibilisation par les féministes cis et hétéros)… si j’avais pas rencontré des fems, je serais encore en train de me détester, de vivre avec des phobies sociales, de chercher à crever. J’écris parce que mes communautés sont les raisons pour lesquelles je suis en vie. Elles sont aussi les raisons pour lesquelles je me suis effondrée (nuances, toujours). J’écris pour qu’on ne puisse pas nous ignorer. Pour qu’on ne puisse pas ignorer soi-même ce qui fait notre magnificence (pour paraphraser Mia Mingus sur les magnificences fems et handies). J’écris parce qu’on résiste. J’écris parce qu’on est en vie. J’écris parce qu’on ne les laissera pas nous effacer. Lire la suite « En chariot dans l’univers du tarot QUEER »→