Fems. Des histoires.

Il n’y a pas une mais des histoires

Those freaks! Where do they all come from? Culture butch femme, Amérique du Nord, années 40 à 50. Femmes, comme une référence aux femmes fatales d’un certain âge d’or hollywoodien ? On prononce « fém », à l’américaine. Les lesbiennes et les bies des classes ouvrières habitent le duo butch-fem. Il y a là de la survie. Tenter de passer dans un monde hétéronormé. Garder nos remous pour nous pour rester en vie. Certain-e-s ont dit : pâle imitation du couple hétérosexuel ! D’autres ont répliqué : on a inventé nos codes. On a magnifié des aspects de la masculinité et de la féminité en les arrachant à l’hétérosexualité ! On a tordu le cou à l’hétéronorme et à la misogynie. Peut-être qu’il fut un temps/lieu où il était difficile d’être une les-bie-nne sans avoir à choisir un camp : butch ou fem. De la difficulté à développer des communautés en marge de l’homophobie et des normes en vigueur sans instaurer nos normes contraignantes dans ces marges. Combat de tout temps. Naviguer. Survivre. Concessions.

Virevoltantes dans la culture des bars, les fems sont aussi devenues les drag queens et les femmes trans. Le spectre des féminités déviantes s’élargissait.

En France, on pense aux réappropriations de la masculinité et de la féminité par des artistes bourgeoises ou nobles des années 20 et 30. Et on a parlé des Jules (et des Nanas), des termes que les années ont relégués à quelques mémoires. Autres lieux, autres classes sociales. L’histoire des femmes non cisgenres et/ou hétérosexuelles des classes populaires est lacunaire, preuve que l’hétérocispatriarcat et le capitalisme imprègnent les manières de l’écrire.
Des tas d’autrices fems ont écrit sur la mise au placard des butchs et des fems par la deuxième vague du féminisme des années 70 et 80. En Amérique du Nord comme ici, en Europe occidentale. On parlait d’abolir le genre. On parlait de sororité. Ces personnes trop visibles, trop clichés, trop vulgaires faisaient tache. Leur sexualité trop visible faisait ombre aux femmes hétérosexuelles et puis au lesbianisme politique ou radical qui prônait parfois une scission de toutes les visions conventionnelles de la sexualité. Or une partie de l’imaginaire butch-fem était alors peuplé de godes, de codes, de galanterie, de cruising, de sexe dans l’espace public, de fétichisme. Polarisation au sein du mouvement féministe lesbien. Dure. Dévastatrice. Pourquoi souvent plus de violences quand on se sent trahi-e-s par les nôtres, dans nos communautés de luttes, que quand on adresse nos ennemi-e-s commun-e-s ? Les visages de nos luttes se déforment sous nos pleurs. C’est ainsi qu’on grandit, dans nos multitudes, loin des monolithes.

Dans les années 80 et 90, le queer se développe ainsi qu’un féminisme pro-sexe. Les fems reviennent en force. Yels ne sont plus vissées automatiquement aux butchs. Toute la vision des fems s’est relâchée.

En Europe francophone, on ne sait pas trop d’abord. On sait que « fem » est un terme qui circule dans les milieux lesbiens. On sait aussi qu’il s’écrit peu. Certains passages de la thèse d’Aurélie Chrestian consacrée aux fems m’ont marquée. Elle a remarqué que dans les premières traductions des romans, essais et nouvelles de Dorothy Allison, autrice fem états-unienne, le mot anglais « femme » devenait « passive », « femme fatale » et même « petite fille » (!!!). Ces histoires dont on préférerait qu’elles ne se disent pas. Ces histoires passées à la moulinette du regard masculin et hétérosexuel. Ces transmissions qui n’ont pas lieu. Les oubliées de l’histoire qui peinent à se retrouver entre yels.

Extrait de mon zine Fems!? à consulter ici: Fems-cathou-zine-jui2018corr

Fems! En guise de suspension…

Il y a des intersections, des créations, des nœuds, pas des abolitions
Il y a un nom, des synonymes, des appropriations, des mots qui sonnent creux
Il y a des mots qui résonnent, des envies qui font mouche, des exclusions qui rapprochent.

On a mis du temps à se retrouver. On a mis du temps à communiquer sur un même langage. Ce langage qui nous met à mal. Des autrices comme Wendy Delorme et des cinéastes comme Emilie Jouvet ont livré leur vision de « fem ». Elles ont donné de la visibilité au terme.

On s’est retrouvées. On peine à se retrouver. Certain-e-s fems anglophones ont écrit que fem était un éloignement permanent de la norme. Elles ont dit : comment peut-on être fem quand on est queer, certes, mais aussi blanche, cisgenre, mince, valide, jeune ? Comment ? Je porte cette interrogation, sans pour autant juger les fems qui le sont. Mais qui est visible ?

Je suis visible. Fem blanche, de classe moyenne, grosse, cis, plus ou moins valide selon les périodes, je suis visible. Plein de personnes m’ont dit : je ne peux pas être une fem, je ne suis pas comme toi. J’ai compris alors que ma femitude excessive, rose, très maquillée, très décolletée, très barbie grrrl pouvait prendre trop de place. On échoue à chaque fois qu’on donne l’impression qu’il n’y a qu’une façon d’être fem. On échoue à chaque fois qu’on déclare que les fems sont tou-te-s des bottoms ou tou-te-s des dominas.
On échoue. Fem est un glorieux échec quoi qu’il arrive, en tant que fem-inité sans allégeance.

Fem est faite de zones tendres, de corps qui s’affaissent. Fem est faite pour rebondir là où ça fait mal.

Il y a des mots qui résonnent, des envies qui font mouche, des exclusions qui rapprochent.

J’écris cet article, ce zine, ce témoignage – enfin ce truc dont je ne sais pas encore ce qu’il deviendra – depuis environ un an. Dans ma tête, je l’écris. J’évite le clavier car j’ai trop mal.

Je pense à ce documentaire sur les fems qui est resté en suspens trois ans. Je pense aux mots durs que j’ai eus, aux camps que j’ai choisis trop hâtivement, à la blanchité qui éclipse. Je pense que je crève de mal au bide quand des personnes me confient être futch parce que fem, c’est trop binaire ou trop féminin. Je trouve ça formidable d’être futch. Mais comment a-t-on épuisé ainsi la femitude ? Comment est-elle devenue figée et contraignante ? Et quoi, alors, toutes mes amies qui sont des fems paresseuses, qui ne sont pas dans le registre de la féminité dans leurs fringues, c’est des fausses fems ou quoi ? Il y a autant de définitions…

Il n’y en a pas. Chaque fois qu’une hétéra cisgenre lit le mot « femme » en anglais et se l’approprie sans chercher plus loin, fem se vide. Notre espace rétrécit. Pourtant, j’aime quand fem se vide. J’aime qu’elle soit une sécrétion qui s’échappe. J’aime qu’elle soit la crasse qui coule. J’aime qu’elle enraye la mécanique aussi subtilement que sournoisement.

Dans le même temps, je m’y accroche comme une identité. Je sais intuitivement qu’elle n’est pas/plus une identité. Je sais que c’est sa force. Mais je m’y accroche. Parce qu’elle m’a permis de nommer. Elle m’a donné vie. Je crois bien que la première fois que j’ai lu/entendu le mot fem, j’ai arrêté d’être suicidaire. J’ai été suicidaire 15 longues années. Et à 27 ans, je suis devenue une fem. Une survivante.

Fem est puissante car elle est hybride. Fem me déborde des pores. Elle n’est pas (qu’)une identité. Elle est un poison et un remède. Elle s’immisce dans les interstices. Elle pollue. Elle purifie. Elle parasite. Elle ravage. Elle bâtit. Elle rassemble.

Fem est puissante. Pourtant, je pense à tous ces festivals féministes qui utilisent « fem » comme un diminutif et je me sens faible. Invisible. Encore invisible. On dit à mes amies fems qu’elles ne sont pas bienvenues dans un espace féministe lesbien parce qu’elles sont trans et je veux m’accrocher à  fem comme le signe de nos solidarités. On demande à mes amies fems ce qu’elles foutent dans un espace queer parce qu’elles sont dans une relation avec un homme et je veux que fem se mette en travers de la biphobie. Invisibles.

Mon intuition me dit qu’on est bien plus qu’un mot. Mais le langage structure tout. Il ne faut pas avoir peur de bousculer la langue. Il faut malaxer cet outil des puissant-e-s pour qu’il cède sous nos puissances queers. Pourtant, il faudrait qu’elle reste accessible, cette langue en chantier. Il faudrait qu’elle s’écrive et se lise pour les personnes dyslexiques, sans diplôme, sans jargon, qui utilisent la langue des signes, qui… La mettre à mal et à disposition, au service.

Je n’ai pas d’autre mot que fem. Je n’ai pas de cri de ralliement. Je n’ai pas de solution. Fem n’est pas une solution. Fem n’a pas de solution. La solidarité fem brille de solutions.

Je ne sais pas quoi te dire. J’ai confiance en nous.

PS : entre fems, on s’appelle parfois « mefs ». Genre : « ça va mef ? » ou « Eh, mef, t’es extraordinaire ! » C’est chouette ! Si tu veux essayer…

Suspensions.

Extrait de mon zine Fems!? à consulter ici: Fems-cathou-zine-jui2018corr

Un monde fem

Quand j’ai l’impression d’avoir perdu le sens de ma vie, je me rappelle du cadeau immense des amitiés fems queer et/ou bie-gouines. Et j’essaie d’être paumée (parce que j’en suis là quoi), mais reconnaissante. Elles m’ont sauvée.
💖
A propos, il n’est pas trop tard pour lire mon dernier petit zine sur le fait d’être fem: https://cathoutarot.blog/2018/07/02/zine-fems/

Zine « Fems!? »

Update janvier 2019: mon amie Jules a traduit le zine en castillan!


Les fems sont des mutant-e-s. Ce sont des licornes. Des créatures mythiques entourées de mystère, poursuivies par les rumeurs, méconnues ou inconnues. Les fems n’existent pas assez pour qu’on y songe lorsqu’on utilise à tout va « fem » à la place de féministe. Trop fluides pour être cernées. Trop cryptiques pour être décodées.
Les fems sont des mutant-e-s en mal d’histoire. En peine de communauté.
Des voyageuses entre les mondes.
Des ombres qui dégoulinent des encres qui dessinent des histoires qui ne s’ancrent pas.
Les amitiés fems (les femitiés), les amours fems, la baise entre fems tirent leur puissance des silences
Des manques et de l’imaginaire qui s’enroulent dans leurs mystères.

Il y a autant de définitions de « fem » qu’il y a de fems.
Fois dix mille.
Il y a autant de définitions qu’il y a de journées dans la vie d’une fem.
Il y a autant de définitions qu’il y a d’intersections.
Il n’y a pas de définition.
Il y a du collectif et des individu-e-s.
Il y a nos narrations, nos privilèges, nos traumas, nos réappropriations, nos tâtonnements, NOS DESIRS, nos (a)sexualités, nos genres, nos positions, les coups différenciés des systèmes de pouvoir, nos positionnements.
Il y a la solidarité.
Un fil rouge, d’autres roses, des ruptures, des baumes, des sortilèges.

Extrait de mon dernier zine sur la femitude. Pour le consulter/télécharger entièrement clique clique clique.

Poème pour les fems – reine de bâtons

Mise à jour: dernière version et contexte dans mon zine Fems?!

J’ai déjà écrit ailleurs que je trouve beaucoup de ma femitude dans la reine de bâtons. Je suppose que pour d’autres fems, ce serait plutôt la reine de coupes. L’identité fem est une identité queer et plus largement lesbienne, bie et trans dont il y a autant de définitions qu’il y a de fems. Parmi les aspects importants, une réappropriation et une mise en valeur d’aspects traditionnellement lus comme féminins (et donc dévalorisés puisque -oh surprise- on vit dans un monde patriarcal) qui deviennent vecteurs de puissance et d’autonomie quand ils sont réinventés et réagencés en n’étant plus conditionnés par le regard et le jugement masculins. Bref, j’ai écrit un slam sur et pour mes ami.e.s fems. Il est pétillant de reine de bâtons, je trouve. 

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Low fem, soft fem, biting fem
Montrer les crocs
Crever les pneus
Femitié – un sens de la communauté
Nœuds dans les cheveux
Velues
Des orteils aux perruques emmêlées
Les doigts rugueux
Le goût du laid
Le teint laiteux
Fem paresseuse, fem à la bouille creuse
Fem impassible, fem en colère
Hétéronorme barbouillée Lire la suite « Poème pour les fems – reine de bâtons »