Il y a des intersections, des créations, des nœuds, pas des abolitions
Il y a un nom, des synonymes, des appropriations, des mots qui sonnent creux
Il y a des mots qui résonnent, des envies qui font mouche, des exclusions qui rapprochent.
On a mis du temps à se retrouver. On a mis du temps à communiquer sur un même langage. Ce langage qui nous met à mal. Des autrices comme Wendy Delorme et des cinéastes comme Emilie Jouvet ont livré leur vision de « fem ». Elles ont donné de la visibilité au terme.
On s’est retrouvées. On peine à se retrouver. Certain-e-s fems anglophones ont écrit que fem était un éloignement permanent de la norme. Elles ont dit : comment peut-on être fem quand on est queer, certes, mais aussi blanche, cisgenre, mince, valide, jeune ? Comment ? Je porte cette interrogation, sans pour autant juger les fems qui le sont. Mais qui est visible ?
Je suis visible. Fem blanche, de classe moyenne, grosse, cis, plus ou moins valide selon les périodes, je suis visible. Plein de personnes m’ont dit : je ne peux pas être une fem, je ne suis pas comme toi. J’ai compris alors que ma femitude excessive, rose, très maquillée, très décolletée, très barbie grrrl pouvait prendre trop de place. On échoue à chaque fois qu’on donne l’impression qu’il n’y a qu’une façon d’être fem. On échoue à chaque fois qu’on déclare que les fems sont tou-te-s des bottoms ou tou-te-s des dominas.
On échoue. Fem est un glorieux échec quoi qu’il arrive, en tant que fem-inité sans allégeance.
Fem est faite de zones tendres, de corps qui s’affaissent. Fem est faite pour rebondir là où ça fait mal.
Il y a des mots qui résonnent, des envies qui font mouche, des exclusions qui rapprochent.
J’écris cet article, ce zine, ce témoignage – enfin ce truc dont je ne sais pas encore ce qu’il deviendra – depuis environ un an. Dans ma tête, je l’écris. J’évite le clavier car j’ai trop mal.
Je pense à ce documentaire sur les fems qui est resté en suspens trois ans. Je pense aux mots durs que j’ai eus, aux camps que j’ai choisis trop hâtivement, à la blanchité qui éclipse. Je pense que je crève de mal au bide quand des personnes me confient être futch parce que fem, c’est trop binaire ou trop féminin. Je trouve ça formidable d’être futch. Mais comment a-t-on épuisé ainsi la femitude ? Comment est-elle devenue figée et contraignante ? Et quoi, alors, toutes mes amies qui sont des fems paresseuses, qui ne sont pas dans le registre de la féminité dans leurs fringues, c’est des fausses fems ou quoi ? Il y a autant de définitions…
Il n’y en a pas. Chaque fois qu’une hétéra cisgenre lit le mot « femme » en anglais et se l’approprie sans chercher plus loin, fem se vide. Notre espace rétrécit. Pourtant, j’aime quand fem se vide. J’aime qu’elle soit une sécrétion qui s’échappe. J’aime qu’elle soit la crasse qui coule. J’aime qu’elle enraye la mécanique aussi subtilement que sournoisement.
Dans le même temps, je m’y accroche comme une identité. Je sais intuitivement qu’elle n’est pas/plus une identité. Je sais que c’est sa force. Mais je m’y accroche. Parce qu’elle m’a permis de nommer. Elle m’a donné vie. Je crois bien que la première fois que j’ai lu/entendu le mot fem, j’ai arrêté d’être suicidaire. J’ai été suicidaire 15 longues années. Et à 27 ans, je suis devenue une fem. Une survivante.
Fem est puissante car elle est hybride. Fem me déborde des pores. Elle n’est pas (qu’)une identité. Elle est un poison et un remède. Elle s’immisce dans les interstices. Elle pollue. Elle purifie. Elle parasite. Elle ravage. Elle bâtit. Elle rassemble.
Fem est puissante. Pourtant, je pense à tous ces festivals féministes qui utilisent « fem » comme un diminutif et je me sens faible. Invisible. Encore invisible. On dit à mes amies fems qu’elles ne sont pas bienvenues dans un espace féministe lesbien parce qu’elles sont trans et je veux m’accrocher à fem comme le signe de nos solidarités. On demande à mes amies fems ce qu’elles foutent dans un espace queer parce qu’elles sont dans une relation avec un homme et je veux que fem se mette en travers de la biphobie. Invisibles.
Mon intuition me dit qu’on est bien plus qu’un mot. Mais le langage structure tout. Il ne faut pas avoir peur de bousculer la langue. Il faut malaxer cet outil des puissant-e-s pour qu’il cède sous nos puissances queers. Pourtant, il faudrait qu’elle reste accessible, cette langue en chantier. Il faudrait qu’elle s’écrive et se lise pour les personnes dyslexiques, sans diplôme, sans jargon, qui utilisent la langue des signes, qui… La mettre à mal et à disposition, au service.
Je n’ai pas d’autre mot que fem. Je n’ai pas de cri de ralliement. Je n’ai pas de solution. Fem n’est pas une solution. Fem n’a pas de solution. La solidarité fem brille de solutions.
Je ne sais pas quoi te dire. J’ai confiance en nous.
PS : entre fems, on s’appelle parfois « mefs ». Genre : « ça va mef ? » ou « Eh, mef, t’es extraordinaire ! » C’est chouette ! Si tu veux essayer…
Suspensions.
Extrait de mon zine Fems!? à consulter ici: Fems-cathou-zine-jui2018corr