Je suis cachée. Je suis ton ombre. Je suis tes silences. Je suis entre chacune de tes lignes. Mon souffle entre chacun de tes mots.
Je suis quand ton intuition précède tes pensées, quand elle donne forme à tes phrases, quand tes mains son le récipient du sens, quand tes mains sont la prolongation des racines, tes cheveux du mycélium, ta sueur de la pluie, tes pupilles de la nuit sombre, ton hémoglobine des astéroïdes.
Je suis quand tu te mets en retrait pour devenir plus vibrante, plus habitée, moins véhémente, moins anthropocentrée, la part d’un ensemble.
Je vibre parce que je ne suis jamais seule. Ma solitude n’est pas solitaire. Elle est fertile. Elle est ramifiée.

Je suis
la quête qui frétille perpétuellement dans tes cellules,
qui agite ton être.
Je suis le sens et le refus du sens
Le questionnement qui ne doit avoir ni début ni fin
La dévotion comme art de vivre.
Le dévouement envers l’infime, le minuscule, l’insignifiant, les déchets, l’inconsidéré.
Je suis la magie de l’invisible
L’invisible qui ne l’est que parce qu’il est ignoré
Non parce qu’il est caché
L’imperceptible répondant à la perception
Il n’y a rien d’occulte
Je ne suis ni une sage ni une alchimiste.
Je suis la pèlerin du quotidien,
la périphérie dans chaque mouvement.
Je suis l’empreinte dans le humus
La bestiole, le pétrichor, la subtilité entêtante, l’ignorée qui chante.
Je suis ta compagne, ta lanterne, ton bâton.
Il est tard. Je n’ai pas la notion du temps présentement. Si elle est au-dessus de l’horizon, la lune est cachée par le brouillard. Je sais qu’il est tard justement parce qu’il est devenu compliqué de s’accrocher au temps. Alors j’agrippe fermement mon bâton pour fendre les ténèbres. Pas à pas.

La neige tombe en épais flocons. Ou bien sont-ce des feuilles mortes? Ça sent la décomposition en tout cas. J’avance avec ce qui est là directement autour de moi. Je n’ai pas une vision infrarouge.
Pas plus que l’obscurité, je ne perce les mystères de l’avenir. Je n’ai aucun complexe d’omniscience. Je peux toujours me raconter le passé, ça n’en reste pas moins une histoire. Ce récit d’humain.e s’étiole rapidement quand je passe mes doigts dans la terre humide et que les vers de terre les engluent. Je m’efforce d’accorder toute mon attention à ce qui se déroule ici. Mon attention capte en retour celle de ce qui est là. On s’élance probablement plus qu’on avance. On s’enlace. On s’interroge. On se ressent.
Le désir de rencontrer l’obscurité dans sa totalité me meut. Dès lors que mon Oeuvre est impossible, je vis sur le mode interrogatif. Réflexif. Est-ce que je me regarde le nombril? Pourquoi pas? Les milliards de bactéries vivant dans mes intestins grouillent avec une complexité capable de me captiver pendant des décennies. Ça sent la décomposition.
Les nécessités de l’Ermite
C’est qu’il faut sombrer.
C’est qu’il faut s’ignorer.
C’est qu’il faut rapetisser.
C’est qu’il faut descendre
de son piédestal – de son trône – de ses certitudes
Descendre dans les souterrains
Où l’on perd ses repères
C’est qu’il faut se remettre en question
C’est qu’il faut se métamorphoser
C’est qu’il faut traverser les mondes
Il faut se détériorer
Il faut sentir ses cellules qui se recomposent
C’est qu’il faut quitter sa position, la laisser derrière soi, dire au revoir aux regards, laisser les grades au placard.
C’est qu’il faut faire l’expérience de la marge, des frontières, des confins.
Sentir les compressions, l’effet centrifuge, la gravité.
Il faut visiter les cavités, les galeries, les labyrinthes sous la surface.
Il faut voyager
Du centre aux bordures au centre aux bordures.