Le Roi de Pentacle s’occupe des temporalités.
Il retrace l’histoire. Le Roi d’Épée s’intéresse à la transmission des histoires: nos généalogies, constellations et ramifications. Il veille à ce que nos récits soient mis en valeur. De son côté, le Roi de Pentacles relaie le message des pierres. Il dépouille les livres de comptes. Il recherche quelles cultures étaient privilégiées ici il y a 200 ans. Quels animaux se sont installés dans ces contrées il y a 2.000 ans. Ou quelle était la flore indigène il y a 20.000 ans. Il s’assure que nous agissons aujourd’hui et pour demain en toute connaissance de ce qui a été. Il déterre les avions écrasés pendant la guerre pour que les mémoires restent vivantes, pour que les “plus jamais ça” ne soient pas lettres mortes. Il étudie l’histoire des tribunaux de guerre pour comprendre le droit international du génocide. Pragmatique, il ne reste pas la tête fourrée dans les ouvrages scientifiques, il agit, il porte de la voix. Il ne reste figé dans les définitions d’antan si l’urgence est maintenant.
Le Roi de Pentacles fait parler le Lieu, le Génius (l’esprit du lieu). Parfois, il est le lieu qui s’exprime à travers des signes, des trouvailles, des rencontres. Le Roi de Pentacles est de nature généreuse. Cela peut se manifester par des synchronicités dans ce cas. Mais aussi un bon repas cuisiné avec amour. Une recette transmise. Ou un plat sorti de son imagination qui deviendra une tradition pour le groupe. Comme tous les Rois, il rassemble pour partager. Ce qu’il fait a vocation à servir une communauté – un terme vaste et c’est très bien comme ça, il nous invite à cultiver de multiples communautés, pas seulement entre humain.es, pas seulement dans le présent.

Ce matin, j’ai tiré le Roi de Pentacles du Next World Tarot comme carte de focus. Levée de bonne heure, j’étais en train de lire des sites institutionnels consacrés au patrimoine, en particulier sur le paysage de la région. C’est la toponymie qui m’y avait menée. Un nom mélange de gaulois et de latin. Un nom faisant directement référence au paysage mais qui est aussi celui d’une déesse celte. Et puis, de fil en aiguille, j’étais plongée dans l’histoire locale. Par ici, il y a des buttes-témoins, ce sont des collines qui rappellent le temps où ces terres étaient… la mer. Il y a ce temps long, ce temps géologique. Il y a les carrières auprès desquelles je me suis baladée cette semaine. Ce temps tellement court de l’extractivisme et du capitalisme. Par ici, il y a des bois qu’on dit être des reliques de la Forêt Charbonnière qui traversait autrefois une partie de l’actuelle Belgique et dont wikipedia m’informe qu’elle était une forêt “antique” et du haut moyen-âge. Le premier millénaire de notre ère. Un changement de végétation suite à la dernière glacière. Encore une autre temporalité: le temps des humain.es.
J’ai tiré le Roi de Pentacles ce matin, alors j’ai décidé de passer un peu de temps dans les livres d’histoire empruntés à la bibliothèque communale quand mes douleurs n’étaient pas trop incapacitantes. Et puis, j’ai fait mes exercices du Zebra Club parce qu’elles étaient insupportables. Avec les Pentacles, je ne peux pas oublier l’indispensable soin du corps, je dois prendre du temps pour lui sous peine de ne pas pouvoir accomplir les tâches pour lesquelles je m’implique. Avec le Roi de Pentacles, la notion de “travail” est centrale. Mais pas simplement le boulot. Dans le cas présent: le travail du corps, le travail de compilation d’information sur un sujet qui me passionne. Mais aussi ce à quoi j’ai consacré une partie de mon temps récemment, recopier les textes que j’avais rédigé sur le tarot dans l’espoir de les compiler dans une publication. Le projet n’aura pas abouti, ce qui ne signifie pas que je vais laisser ces textes prendre la poussière (enfin, l’humidité). J’aime voir les Rois comme des motivateurs. Ils sont là, derrière nous, à nous encourager, à nous donner confiance. Ils veulent qu’on prenne conscience de la valeur de ce que l’on crée, donne, façonne, pense (selon les Rois, à chacun son domaine).
J’ai déjà expliqué à plusieurs reprises cette conception des figures que j’ai développée au fil des années. Peut-être pas la plus conventionnelle, mais c’est celle qui fonctionne pour moi.

J’écris ce texte un dimanche. Parmi mes cartes de la semaine, j’avais aussi le Roi de Pentacles, du Tarot of the Holy Spectrum cette fois. C’était la dernière carte de mon tirage. J’avais demandé une carte pour répondre à “Comment cultiver les ressources en moi pour appliquer ça (ce qui était ressorti du reste du tirage donc)”. Le Roi de Pentacles en mode motivateur ou cheerleader, il me rassure: oui, je peux faire des choses dont je ne me crois généralement pas capable. Oui, bien sûr, c’est compliqué, mais avec un peu d’organisation, y a moyen de débloquer la situation. Non, ça ne sert à rien d’être trop ambitieuse: tu as ce qu’il faut pour y arriver, ne te lance pas des défis qui t’insécuriseraient.
Et, bien sûr, mon Roi de Pentacles, il va à contre-courant des trucs en vogue autour du tarot: leadership, entreprise, gagner des thunes, blablabla. Mon Roi de Pentacles, c’est le Roi d’une personne handie. Il est doux. Il ne cherche pas l’exploitation. Il n’a pas envie de me voir en burn-out. Il n’a pas envie que je foute ma santé précaire en l’air en imposant du stress. Il s’en fiche pas mal que je m’impose, que je sorte du lot, que je réussisse telle une bonne élève du néolibéralisme. Il m’enracine. Il ne veut pas que je m’élève.

Et le Roi de Pentacles du Rosebud Tarot est revenu dans un tirage cet après-midi, un tirage justement avec l’Esprit du lieu donc par définition enraciné. Il me parle des espaces qu’on partage. Il parle de la bétonisation. Et de la “crise du logement” (le capitalisme aime bien appeler “crise” les explosions d’inégalités qu’il a créé sur lesquelles il table pour tirer encore plus de profits). De la propriété. Des exclusions. De réhabilitation. De “reclaim”. Des murs qui parlent. Des murs qui suintent. Des murs d’enceinte. Et des musées. Des initiatives citoyennes. De l’accès à l’alimentation. De cultiver durablement. Du travail bénévole en réponse aux politiques d’austérité. Des merveilles qui en découlent. De l’aliénation qui en découle aussi. De la créativité face à l’adversité. De ce qui reste. Les ruines. De ce qu’on en fait. Des Rois dont on ne veut pas. De ce qu’on veut. De demain.
Il nous rassure: demain n’est pas perdu. Il nous responsabilise: que va-t-on faire pour demain?
Le Roi de Pentacles, le temps, le rapport au temps.