A qui s’identifie-t-on et qui est relégué à sa monstruosité, confondue à sa marginalité?
Qui est le miroir? Qui est le repoussoir?
Qui pleure (avec) les corps minorisés?
Comment fait-on collectifquand on représente ce qui rebute, la frontière de l’innommable?
On hurle à l’appel d’une meute masquée par le mythe des loups solitaires.
Il y a tellement de tarots (pas ceux que je mets en avant avec leurs représentations complexes) qui illustrent La Lune avec une personne grosse. Elle doit alors symboliser ce qui est sauvage, incivilisé, indiscipliné, ne répondant pas aux attentes sociales,…
Quand elle apparaît dans le tarot, la grosseur est la volupté ou l’abondance ou la gourmandise excessive ou l’accumulation ou la sauvagerie ou la nature.
La Hiérophante est une carte de savoir, de croyances et de transmission. Son association au Taureau indique le souci de la conservation, de la protection et de la continuité dans ces domaines. A l’inverse, la carte qui suit, les Amoureuxses, avec le signe des Gémeaux, correspond à plus d’émancipation et d’innovation quand elle traite de ces questions. Mais avant l’envol des Amoureuxses, la Hiérophante invite à prendre le temps. Elle stabilise notre rapport à nos processus d’apprentissage. Elle instaure un cadre dans lequel les comprendre. Ainsi, elle représente notre rapport à nos aîné.es et à nos ancêtres. Et ce, dans des champs allant de nos convictions politiques, spirituelles ou philosophiques à nos compétences techniques en passant par les (éco)systèmes dans lesquels on s’inscrit.
La Hiérophante est l’archiviste. En sa compagnie, impossible de faire fi de nos origines, qu’elles soient mythiques, symboliques ou inscrites dans des arbres généalogiques. Elle est l’historienne qui consigne ces informations puis les analyse. Dans les tapisseries dont les fils nous ont fait.es et défait.es, quelle est notre place? Qu’est-ce qu’on revendique dans nos racines? Comment gravite-on dans nos constellations? De quoi se détache-t-on? Qu’est-ce qui nous dérange? De quoi ou de qui faisons-nous ouvertement scission? Quels travaux nous ont inspiré.es? Quel.les profs nous ont autant influencé.es que déçu.es? L’Hiérophante est la thérapeute qui offre un espace pour les ambiguïtés. Avec cette carte, on cartographie nos réseaux. Elle est notre position parmi eux. Elle est l’ensemble des chemins entre les différentes composantes. Elle représente nos perspectives d’évolution, collectivement et personnellement. En ça, elle est l’ensemble des positions au sein du réseau, qu’elles soient passées, existantes ou potentielles.
La liberté d’apprentissage
Parce que chaque carte brille sur un spectre, elle est aussi tout ce qui nous garde figé.e, comme le signe du Taureau qui s’applique à conserver. Elle symbolise les moments où l’on remet à d’autres les clés de nos connaissances, où l’on apprend scolairement sans questionner la matière enseignée. De là, elle évoque également notre rapport aux institutions, aux écoles de pensée, aux religions, aux entreprises. Elle constate que les réseaux sont aussi les biopolitiques, nos corps comme lieu de rencontre des savoirs/pouvoirs, nos corps marqués, nos corps récalcitrants et nos corps obtempérant.
Complexe, elle n’oppose pas la soumission à la révolution. Elle crée des passages, des failles dans ces systèmes qu’elle peut aussi incarner. Elle nous rappelle qu’il n’y a pas de dehors aux systèmes et cela ne veut pas dire que tout est couru d’avance, perdu, condamné. Elle questionne notre puissance d’agir par rapport aux pouvoirs. Est-ce qu’on s’écrase? Est-ce qu’on résiste? Est-ce qu’on s’échappe? En tout cas, avec elle, nous n’inventons pas. Nous existons dans le collectif. Les récits s’entremêlent. Les connaissances se tissent. On apporte nos pierres à l’édifice et/ou nos pavés dans les barricades et/ou nos résidus au compost.
Parce qu’elle est l’atout numéroté 5, La Hiérophante se réverbère dans les 5 des suites, cartes de crise par excellence. Crises de foi. Débusquer les théories du complot. Bousiller les dogmes. Rébellion face aux autorités. Tourment lorsque l’autorité s’immisce malgré soi dans nos dynamiques collectives. Abus de pouvoir. Désabusé.e face au pouvoir. Réclamer sa puissance personnelle et/ou en tant que groupe minorisé. Décoloniser les savoirs. Reprendre le contrôle de ses récits. Faire face aux retours de bâton suivant des droits chèrement acquis. Ne pas se contenter de l’égalité juridique. Ni d’un washing stratégique. Déloger l’oppression intériorisée. S’acharner. Se battre.
Parce qu’elle est l’atout numéro 5, La Hiérophante célèbre la constance du chaos. La constance du changement. Et les mycéliums de la continuité.
Au bord des fossés où s’écoulent mes vies passées, des iris annonciateurs de répit fleurissent. Sur le sol où j’ai sacrifié les lambeaux de ceulles que je ne suis plus, des cristaux de roche brillent dans la lumière du point du jour.
Je suis revenue transparente. Limpide, tout comme la rosée perlant sur ma chrysalide. Ardente, de cette ardeur tranquille signifiant que je ne suis plus en combustion. Fervente, de cette foi paisible suivant le sommeil retrouvé.
Mes muscles sont engourdis. Mes gestes sont lents, en conscience. Mes ailes se déroulent doucement, encore froissées par le cocon. Il faut que je patiente. Il faut que je récupère. Il faut que je profite. Sérénité de ne plus être tiraillée.
Maintenir l’espace pour la complexité, la mienne et celle du monde. Percevoir le monde avec plus de nuances qu’auparavant. Mes sens captent des gammes jusque-là imperceptibles. Les subtilités sont infinies. Je les mélange. Je les laisse opérer. Je les guide.
Je ne suis plus une caricature de moi-même. Je n’ai plus rien à prouver. Je suis sur le point de m’envoler. C’est l’aube ! Enfin, je vois venir demain.
Je ne suis plus enfermée dans un corset, dans un carcan, dans les normes, dans les dualités, dans des injonctions, dans mes limitations. Je ne peux plus penser de façon binaire. Le monde entier s’irise. Tel est le charme de la carte aux iris.
Au point du jour, je suis Je suis un spectre sans fin Un arc-en-ciel contenant mille couleurs Je suis.
Comprendre la Tempérance
La Tempérance est un état de grâce. Le funambulisme au-dessus de l’océan accessible à toustes. C’est la suave impression de pouvoir être soi sans être écartelé.e entre Des rôles, des pôles, des états (d’âme) contradictoires. C’est flotter par-dessus les contradictions. En prendre acte, mais ne pas les laisser prendre le dessus.
On manipule les facettes. On les mélange. On est composé.e de tous ces fragments. On est une mosaïque, entière dans sa complexité.
Dimanche, pleine lune en lion. Prétexte pour faire la lecture de mon dernier texte sur La Force et le partager en vidéo. Toujours sympa pour les personnes qui, comme moi, préfèrent écouter que lire. Ou ne peuvent pas faire autrement. Puis, c’est une direction que j’aimerais donner à ma chaîne YouTube. Qu’elle mette en valeur mes textes poétiques. Qu’elle soit plus orientée sur la divination comme art et moins sur les vidéos qui marchent mieux, genre les revues de jeux et autres top 10.
Il fait gris. J’ai un œdème à la joue après une intervention d’endodontie. J’oscille entre la peur d’un retour de l’abcès et le fatalisme: avec les tissus fragiles du SED, on ne peut pas paniquer dès que le corps réagit bizarrement. Je laisse vagabonder mes pensées pour éviter qu’elles fassent des boucles. Un ciel si gris. Même si j’ai filmé une lecture matinale de La Force, c’est Le Soleil qui me revient sans cesse à l’esprit. Pas en boucle, pour le coup. En éclats.
Je cède à l’appel du pied de la carte. Elle entre en dialogue avec Le Jugement, la carte 20, l’atout suivant, que j’avais tirée plus tôt encore. Je saisis les notes qui me viennent.
Et je les recopie ici en les altérant à peine (faute d’énergie). Brutes. Faillibles.
De La Force au Soleil… Vers le Jugement.
Passer de la carte du Lion, la Force, à celle du luminaire à demeure chez le Lion, Le Soleil.
Divergences: Le Soleil relie tandis que La Force est concentrée plus sur elle-même que sur ses liens avec d’autres.
Intrépide, La Force s’aventure dans les profondeurs, auprès de ce qui est caché. Elle va chercher les peurs pour les accompagner. Elle côtoie la “nature” sauvage. C’est à force d’efforts et de pratique qu’elle parvient à rester sereine.
Le Soleil se pose en pleine lumière. Rien à cacher. Il expose. Il libère. Il respire l’air frais sans effort. Il ne problématise pas. Il assume. Sans artifices, sans parures, sans masque, il se montre. Sa voix est limpide. Elle porte. Il est capable d’exprimer clairement ce qu’il veut et pourquoi. Il a quelque chose à affirmer. Comme une vérité (aussi fugace soit-elle). Un énoncé qui a besoin de rayonner. Un corps qui s’étire.
Le Soleil. Un rapport à l’espace. Un désir d’être pleinement, déconfinée, dans un espace investi ressenti.
Jeux d’ombres et lumière
Derrière cette facette visible voire surexposée du Soleil, il y a aussi toutes les ambiguïtés des grands mots qu’il affiche:
s’affirmer, la vérité, prendre de l’espace, s’assumer
Ou leur revers. Prétendre figer des choses en mutation. Prétendre que l’individu est roi.
Toutes les larmes versées Toutes les tisanes concoctées Toutes les sécheresses endurées Et les tempêtes traversées
Aucune leçon Bien des frissons Nulle revanche Quand on émerge d’une avalanche
Un entêtant « j’ai survécu » Suivi d’une oraison Pour cette mort que je n’ai pas vaincue Pour ces mort.e.s dont Rien ne me distingue qu’une Vague chance, un « waw j’ai du cul »
Et puis quoi? Réapprendre A vivre Se recréer de tendres Rêves De toutes mes forces, tendre Vers ces rives Et puis me détendre C’est la trêve
Le 9 d’eau. Se chercher des envies.
Avec le Tarot Souverain.es d’Emmanuel.le Fontaine et la sauge de l’abbaye de la cambre un jour d’automne.
Le 2 d’épées me signale qu’il est temps de me poser. Souvent, cette carte apparaît quand les envies sont grandes, quand les possibilités m’attirent. Elle m’invite à reconsidérer mes options.
La certitude qui m’anime n’est-elle pas une fuite ? Un défaut de patience plutôt qu’une solution viable ? Au lieu de me hâter dans la prise de décision, comment puis-je entrer en gestation ? Comment puis-je nourrir l’inconnu et chérir le doute au lieu de m’acharner dans des pistes stériles ? Au lieu d’enfoncer des portes ouvertes, comment puis-je les refermer pour m’accorder un peu de calme ? A quoi ressemblerait un havre de paix où l’incertitude ne me rongerait pas mais m’encouragerait plutôt à rêver ?
Si je me sens coincée, c’est parce que je le suis. L’impasse n’est pas une fausse route. Je ne me suis pas égarée. Je peux m’aménager, dans ce temps-mort, l’espace sacré de la réflexion ou de la méditation. C’est ici que le sésame m’apparaîtra finalement. C’est comme ça que le mot de passe qui ouvre un passage dans l’impasse me viendra.
La transformation n’est pas instantanée. En regardant dedans, j’apprends à élargir mon champ de vision. Je m’autorise le calme. J’ai le droit de ne pas savoir. J’ai le courage de ne pas donner des réponses satisfaisantes. J’ai la foi en mes limites. Ce n’est pas parce que je refuse d’offrir dans l’immédiat que je me stérilise aux contacts. Je suis en gestation. Je respecte mon cocon.
La Page de Bâtons bouillonne. Iel se laisse emballer par l’invitation des élans créatifs: Viens jouer! Viens tester! Viens découvrir! Viens t’aventurer! Essaie! Essaie! Iel ne ressent aucune peur. Les frissons d’excitation la galvanisent. Iel veut vivre! Iel veut bouger! Iel veut découvrir!
Dès l’enfance, certaines expériences nous forcent à réprimer notre créativité. Elles continuent d’entraver notre liberté par la suite: On ne se sent pas légitime quand on veut essayer un nouveau médium, un autre instrument, une méthode. Quand on veut se laisser guider par le fun, une petite voix insiste pour qu’on “réussisse”. On se trouve ridicule quand nos instincts nous poussent à agir avec badasserie. Parfois, on est timoré.e. Pétrifié.e par les qu’en-dira-t-on. Avant tout, on est foudroyé.e par notre propre regard. Nos attentes nous pourrissent et on ne peut pas s’empêcher de se donner un objectif. On place la barre trop haut. Hors de portée. C’est comme si notre autosaboteurse intérieure se régalait à l’idée qu’on échoue. On n’arrive pas à s’exprimer en dehors de la compétition. Les vieilles brimades nous poursuivent.
Le Page de Bâtons, c’est le remède en nous! C’est l’énergie créative pure, brute, joyeuse. C’est l’amusement qui jaillit quand on explore, quand on exprime, quand on suit sa pétillance. Son époustouflance! Parce que, évidemment, la Page de Bâtons adore inventer: des mots, des chorés, des recettes,… C’est la part de nous qui ne doute pas. Et qui n’en a de toute façon strictement rien à faire d’échouer!
C’est la créativité débridée. Pour le plaisir. Parce que ça veut sortir là-maintenant-tout-de-suite. Parce qu’on a le droit à cette euphorie. A cette légèreté. A cette insouciance. Le droit au plaisir.
Tout l’attire. Tout pétille. Tout a le potentiel d’engager son attention. Tout a la capacité d’allumer sa flamme. Tout est étincelle. Iel est spittante*, vive, curieuse de tout. Ouverte. Iel est la source d’une énergie créative que rien n’assèche.
Bon… bien sûr, iel est susceptible de se disperser. Iel peut papillonner d’une idée à l’autre. Sans jamais prendre suffisamment de temps avec une d’elle pour que l’étincelle se transforme en flamme. Iel est susceptible d’être en proie à une agitation telle que son esprit ne parvient plus à faire le focus sur quoi que ce soit. Envahi.e par une fumée trop épaisse, son esprit risque de ne plus rien distinguer: ni l’étincelle, ni la flamme, ni l’incendie, ni l’extincteur,…
Nous sommes submergé.e.s dans les eaux du mysticisme. Nous ne faisons qu’un.e avec les profondeurs, avec le cosmos, avec les déités, avec les monstres, avec les rêves. Tout fusionne dans l’océan des Poissons. Malgré l’envie de nager dans cet idéal nous devons rester vigilant.e.s. Cette belle hyper connexion nous leurre. Malgré la magie de La Lune, tout ici n’est pas conforme à son apparence.
Quand l’obscurité de La Lune nous appelle à notre meute, à nos instincts, à notre imagination, on a envie de courir, débridé.e.s, sans laisse, sans garde-fou, sans réserve, sans garde-loup. On répond spontanément à l’appel. Une mémoire profonde, engloutie, oubliée jaillit à la surface. On est persuadé.e.s qu’elle ne peut pas nous tromper. Elle semble trop évidente pour s’en méfier.
Pourtant, il est facile de s’égarer au clair de lune, méprenant la fiabilité de son éclairage pour celle du jour ou d’une lampe. Beaucoup trop facile de se perdre dans les méandres de l’infini, d’y perdre un peu trop de sa raison, de louper le dernier train.
Avec La Lune, on se retrouve semblant de rien à errer. Déboussolé.e.s. On perd le Nord. On a l’impression de perdre la boule. L’appel de l’Inconnu peut céder sa place aux tourments de l’indéfini, aux jeux d’illusions.
Incontournable, La Lune fait partie de nos existences. Elle nous offre des expériences profondes, totales, émouvantes. Elle nous aide à ne pas prendre pour acquis un rationalisme exacerbé. Elle nous connecte à la magie. Elle est un enchantement. Une vision qui nous marquera à vie. Un rite de passage induit par un état de conscience modifié. Elle est vitale. Elle nous sort de nos limites. Elle nous dissout. Elle nous nourrit. Elle est inévitable. Rechercher des itinéraires alternatifs ne ferait que prolonger l’expérience. ça la rendrait plus douloureuse. Plus dangereuse.
Mieux vaut toutefois ne pas s’aventurer sans équipement dans son univers sans frontière. Quel est notre fils d’Ariane ? Les miettes de Petit Poucet sont-elles stockées dans nos poches? Les pacte signés avec Ursula ne valent pas ici. Ils sont rencontrés par un rire odieux. Il nous faut des outils. De la ruse dans ce monde à l’envers. Des robustes limites personnelles et/ou collectives.
Bénéficie-t-on d’un soutien thérapeutique? Si non, ne pourrait-ce pas nous stabiliser pendant notre immersion dans les fonds marins ou pendant notre voyage spatial intergalactique ?
Quels sont nos réseaux de soutien? Nos bouées ont-elles besoin de rustines?
Je suis cachée. Je suis ton ombre. Je suis tes silences. Je suis entre chacune de tes lignes. Mon souffle entre chacun de tes mots.
Je suis quand ton intuition précède tes pensées, quand elle donne forme à tes phrases, quand tes mains son le récipient du sens, quand tes mains sont la prolongation des racines, tes cheveux du mycélium, ta sueur de la pluie, tes pupilles de la nuit sombre, ton hémoglobine des astéroïdes.
Je suis quand tu te mets en retrait pour devenir plus vibrante, plus habitée, moins véhémente, moins anthropocentrée, la part d’un ensemble.
Je vibre parce que je ne suis jamais seule. Ma solitude n’est pas solitaire. Elle est fertile. Elle est ramifiée.
Je suis la quête qui frétille perpétuellement dans tes cellules, qui agite ton être. Je suis le sens et le refus du sens Le questionnement qui ne doit avoir ni début ni fin La dévotion comme art de vivre. Le dévouement envers l’infime, le minuscule, l’insignifiant, les déchets, l’inconsidéré.
Je suis la magie de l’invisible L’invisible qui ne l’est que parce qu’il est ignoré Non parce qu’il est caché L’imperceptible répondant à la perception
Il n’y a rien d’occulte Je ne suis ni une sage ni une alchimiste. Je suis la pèlerin du quotidien, la périphérie dans chaque mouvement.
Je suis l’empreinte dans le humus La bestiole, le pétrichor, la subtilité entêtante, l’ignorée qui chante.
Je suis ta compagne, ta lanterne, ton bâton.
Il est tard. Je n’ai pas la notion du temps présentement. Si elle est au-dessus de l’horizon, la lune est cachée par le brouillard. Je sais qu’il est tard justement parce qu’il est devenu compliqué de s’accrocher au temps. Alors j’agrippe fermement mon bâton pour fendre les ténèbres. Pas à pas.
La neige tombe en épais flocons. Ou bien sont-ce des feuilles mortes? Ça sent la décomposition en tout cas. J’avance avec ce qui est là directement autour de moi. Je n’ai pas une vision infrarouge.
Pas plus que l’obscurité, je ne perce les mystères de l’avenir. Je n’ai aucun complexe d’omniscience. Je peux toujours me raconter le passé, ça n’en reste pas moins une histoire. Ce récit d’humain.e s’étiole rapidement quand je passe mes doigts dans la terre humide et que les vers de terre les engluent. Je m’efforce d’accorder toute mon attention à ce qui se déroule ici. Mon attention capte en retour celle de ce qui est là. On s’élance probablement plus qu’on avance. On s’enlace. On s’interroge. On se ressent.
Le désir de rencontrer l’obscurité dans sa totalité me meut. Dès lors que mon Oeuvre est impossible, je vis sur le mode interrogatif. Réflexif. Est-ce que je me regarde le nombril? Pourquoi pas? Les milliards de bactéries vivant dans mes intestins grouillent avec une complexité capable de me captiver pendant des décennies. Ça sent la décomposition.
Les nécessités de l’Ermite
C’est qu’il faut sombrer. C’est qu’il faut s’ignorer. C’est qu’il faut rapetisser. C’est qu’il faut descendre de son piédestal – de son trône – de ses certitudes Descendre dans les souterrains Où l’on perd ses repères C’est qu’il faut se remettre en question C’est qu’il faut se métamorphoser C’est qu’il faut traverser les mondes Il faut se détériorer Il faut sentir ses cellules qui se recomposent C’est qu’il faut quitter sa position, la laisser derrière soi, dire au revoir aux regards, laisser les grades au placard.
C’est qu’il faut faire l’expérience de la marge, des frontières, des confins. Sentir les compressions, l’effet centrifuge, la gravité. Il faut visiter les cavités, les galeries, les labyrinthes sous la surface. Il faut voyager Du centre aux bordures au centre aux bordures.